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7 ans après la crise, comment se porte Détroit

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Durement éprouvée par la crise de 2008, la ville de Detroit est devenue un immense laboratoire d’initiatives.

Durement éprouvée par la crise de 2008, la ville de Detroit est devenue un immense laboratoire d’initiatives.

Fière et imposante, la silhouette de l’Argonaut Building trône au milieu de la vaste Milwaukee Avenue. Le cinquième étage du bâtiment art-déco, longtemps propriété de General Motors, héberge aujourd’hui l’usine Shinola, acteur majeur du renouveau de Detroit. De cette manufacture sortent chaque jour des centaines de montres, de vélos, d’accessoires de maroquinerie, et même de jouets pour animaux, le tout dûment estampillé « made in USA ». Le choix de Detroit, pour les propriétaires de la marque, n’a pas été uniquement motivé par la réputation de savoir-faire industriel attachée à la ville. L’ancienne capitale du Michigan attire les entreprises par ses locaux disponibles en grand nombre aux loyers attractifs, et offre un important réservoir d’ouvriers qualifiés issus de l’industrie automobile. Lentement, la ville émerge de l’épais brouillard dans lequel l’ont plongée les crises successives.

Fondée en 1701 par le Français Antoine de Lamothe-Cadillac, Detroit s’est imposée dès le début du 20ème siècle comme la capitale mondiale de l’automobile. C’est sa position, au confluent des voies de navigation sillonnant les grands lacs qui a décidé Ford, Chrysler et General Motors à y installer leurs usines. Dans les années 1950, la ville, à son apogée, comptait plus d’1,8 million d’habitants. Pourtant, quelques signes de déclin sont déjà perceptibles : l’usine Packard ferme ses portes, et des tensions raciales se font jour. Lorsqu’en 1967 éclatent les plus terribles émeutes de l’histoire des États-Unis, les habitants quittent massivement le centre-ville, qui s’enfonce dans la délinquance. Les crises de 2007 et 2008 aggravent la situation. Choc des subprimes, effondrement de l’immobilier, crise financière, récession et faillites dans l’industrie automobile ont entrainé une spirale dramatique touchant de plein fouet la population. Beaucoup ont préféré partir, fuyant un marasme quotidien et une insécurité grandissante. Ceux qui sont restés, et qui hantent un décor post-apocalyptique fait d’usines en friche et de bâtiments abandonnés, n’ont eu d’autre choix que de s’adapter.

Une ville désertée, mais pas abandonnée

De nombreux écrivains et photographes, envoutés par l’esthétique des ruines, ont contribué à véhiculer l’image d’un Detroit décrépi et en pleine déliquescence. Si cette poésie de la décadence urbaine renvoie effectivement à une situation bien réelle, il serait pourtant réducteur d’assimiler Detroit à une ville moribonde. Les services publics, malgré des coupes budgétaires draconiennes, continuent bon gré mal gré de fonctionner, en grande partie grâce aux aides octroyées par l’Etat. La mise en faillite de la ville, dont le passif atteignait les 18 milliards de dollars, a entrainé une renégociation de sa dette ainsi que la mise en place d’un ambitieux plan de redressement. Les infrastructures vont progressivement être remises en état, les 80 000 bâtiments inoccupés ont commencé à être détruits ou réhabilités, et l’administration entame sa restructuration. Toutes ces mesures permettent à Rick Snyder, gouverneur de l’Etat, d’affirmer sa confiance dans l’avenir de Detroit, même s’il avoue qu’« il reste du travail à accomplir ».

S’adapter face à l’adversité

Si la situation de la ville semble promise à une amélioration certaine au cours des prochaines années, les Détroitiens, pour l’heure, doivent toujours faire face à de nombreuses difficultés. Coupures d’électricité, délinquance, chômage, trafic de drogue, pauvreté, font partie du quotidien des 700 000 personnes qui continuent de vivre dans la cité. Face à ces fléaux, les habitants ont fait preuve d’un dynamisme et d’une adaptabilité insoupçonnés. Des initiatives de toutes sortes ont vu le jour, souvent sur l’impulsion d’ouvriers au chômage. Maçons, menuisiers, agriculteurs, mais aussi artistes et architectes partagent leurs talents dans un esprit communautaire salvateur. Le « Do it yourself » est devenu un mode de vie à la fois nécessaire et revendiqué par les tenants du « système D ». Les jardins potagers fleurissent par centaines sur les anciens terrains municipaux, et des bâtiments menaçant ruine sont réaménagés grâce aux matériaux glanés dans la ville. Née de cette situation sans précèdent, une nouvelle forme de solidarité a vu des volontaires se fédérer en associations, partageant leurs talents pour en faire profiter le plus grand nombre. À tel point que Detroit est devenu, au fil des ans, un laboratoire d’initiatives capable de s’ériger en modèle pour toutes les victimes de la crise.

Bouillonnement culturel

Le milieu associatif et solidaire n’est pas le seul à connaitre une effervescence remarquable. Des artistes de tout genre ont décidé d’investir le centre-ville, profitant de loyers peu onéreux, et venant s’ajouter au substrat foisonnant des artistes locaux. Les créateurs font preuve d’une énergie débordante, ateliers et écoles d’art prolifèrent, et la scène musicale impressionne par son dynamisme. Symbole de la soul avec le label Motown, précurseur du punk avec les Stooges d’Iggy Pop ou encore MC-5, berceau de la techno, le passé musical de Detroit inspire de nouveaux groupes talentueux.

Les galeries d’Art abondent, les peintres s’approprient les façades comme autant de pages blanches, les sculpteurs transcendent des objets industriels laissés à l’abandon. La communauté artistique, très soudée, profite d’une visibilité inconcevable ailleurs qu’à Detroit. Ce creuset fertile, constitué d’un subtil mélange entre l’orgueil d’un passé grandiose et une originalité rendue indispensable par la situation, a contribué au renouveau culturel qui s’est emparé de la ville.

Attirer les habitants et les industries

Les avantages que Detroit peut offrir en matière de loyers et d’énergie créatrice motivent chaque année l’implantation de nouveaux habitants et de nouvelles entreprises. Les start-up, en progression constante depuis ces trois dernières années, profitent d’initiatives portées par la municipalité et attirent les jeunes diplômés. Les investisseurs immobiliers, longtemps frileux à propos du devenir de la ville, se bousculent à présent pour acquérir immeubles et locaux d’entreprises. Les ventes de voiture, repartant à la hausse aux Etats-Unis, permettent aux Détroitiens de se rassurer sur l’avenir industriel de leur ville. Une réindustrialisation qui passe aussi par la manufacture textile, en plein essor, et qui a recruté sur ses chaines de production bon nombre d’ouvriers issus de l’automobile. Créateurs de mode, stylistes et couturiers relancent la mode « made in USA » et se retrouvent chaque année pour l’évènement « Fashion in Detroit ». Les nouvelles technologies participent aussi au renouveau de « Motor Town », qui se classe en cinquième position des villes les plus innovantes des Etats-Unis.

A 'Welcome to Detroit' sign is seen along 8 Mile Road in DetroitA l’heure où Detroit sort peu à peu de la plus grave crise de son histoire, les défis à relever sont encore en trop grand nombre pour affirmer que la ville soit tirée d’affaire. Le plus urgent sera sans conteste de se débarrasser de son image de ville fantôme, dangereuse et décadente. Allégorie bien concrète des crises récentes qui ont secoué les Etats-Unis au plus profond de ses entrailles, Detroit devra presque entièrement se réinventer pour se débarrasser de ses anciens oripeaux. La marche est enclenchée, grâce au dynamisme de ses habitants jamais à court d’initiatives et qui ont fait de la solidarité une philosophie de lutte contre l’adversité. Une nouvelle version du « rêve américain » est-elle en train de prendre forme ?