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Les avocats doivent-ils craindre de se faire ubériser ?

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Les legaltechs prennent de plus en plus de place en France. Fait-on face à une ubérisation du secteur du droit ? Les avocats seront-ils bientôt remplacés par des applications ?

Les legaltechs prennent de plus en plus de place en France. Fait-on face à une ubérisation du secteur du droit ? Les avocats seront-ils bientôt remplacés par des applications ?

Lorsqu’un litige apparaît entre un propriétaire et un locataire, qu’une arnaque semble avérée ou qu’un vol est annulé par une compagnie aérienne, beaucoup d’entre nous abandonnent leurs droits et ne font pas appel à la justice, estimant que celle-ci est trop complexe, trop inaccessible, parfois même trop chère.

C’est pour donner un accès simplifié et bon marché à tout un chacun au monde du droit que différentes startups ont mis en place des services juridiques en ligne. C’est ce que l’on appelle les legaltechs.

Si les legaltechs commencent tout juste à se faire une place sur le marché français (et dans les autres pays de droit romain), elles rencontrent un véritable succès dans les pays de la Common Law, à commencer par les Etats-Unis, qui ont des procédures moins lourdes et donc plus faciles à automatiser.

Mais au delà de l’avancée que représente la démocratisation du droit, les professionnels du secteur juridique pourraient craindre d’être, à terme, remplacés par la machine. Dans un contexte morose pour l’emploi, face au désarroi de certains professionnels du transport, de l’hôtellerie ou de la restauration devant l’ubérisation de leur secteur, il est légitime de questionner la généralisation de ces outils. Quel impact auront-ils sur le métier d’avocat ou sur l’emploi dans le secteur juridique ? Ne risque-t-on pas de laisser de coté l’humain, de négliger rôle social de l’avocat et son expérience dans les conseils qu’il peut promulguer à ses clients ?

Les legaltechs, à quoi ça sert ?

Les legaltechs sont des outils permettant d’automatiser et de sécuriser des actes juridiques sur Internet tout en les présentant de manière simple. Certaines sont généralistes, tel que demanderjustice.com. D’autres sont plus spécifiques. Testamento.fr, par exemple, permet aux internautes de rédiger en ligne leur testament et que celui-ci soit enregistré dans une base notariale, le tout pour une soixantaine d’euros (contre 100 à 200 euros chez un notaire) et sans sortir de chez soi.

Pour les entreprises aussi les legaltechs apportent des solutions. Les sites Captaincontrat.com et legalstart.fr permettent aux startups, aux petites entreprises et même aux associations de gérer tous leurs documents juridiques, de la création de leur structure à la gestion de leurs contrats de partenariats en passant par toutes les formalités liées aux ressources humaines.

Vers une ubérisation de la justice ?

legaltechsContrairement à Uber ou Airbnb, les legaltechs n’ont pas la prétention de retirer aux notaires et avocats les rôles qui sont les leurs et qu’ils ne peuvent juridiquement pas remplacer. Il ne s’agit pas d’une ubérisation à proprement parler du secteur de la justice, mais plutôt d’une digitalisation.

Pour le travail de fond, la justice restera gérée par des professionnels. Les testaments rédigés sur testamento.fr par exemple sont validés par un notaire. Dans les litiges enregistrés sur demanderjustice.com, s’il est nécessaire qu’un avocat plaide, il ne sera pas remplacé par l’application. En fait, les legaltechs peuvent même apporter une aide technologique aux professionnels du droit.

Mettre en contact avocats et clients

Outre le fait de démocratiser les procédures juridiques et administratives, notamment pour les particuliers et les PME, les legaltechs offrent également une interface très attractive pour mettre en contact avocats et clients.

Pour les avocats débutants et les petits cabinets, les outils en lignes peuvent représenter une source de revenus complémentaires, mais aussi un moyen de se faire connaître, de trouver de nouveaux clients et de se faire une place face aux grands cabinets ayant pignon sur rue. En proposant des services moins chers et plus transparents, les legaltechs peuvent être une porte d’entrée pour de nouveaux clients qui n’auraient sinon pas fait la démarche d’aller voir un avocat.

Se débarrasser des tâches ingrates

Au delà de la visibilité qu’ils leurs donnent, les legaltechs représentent aussi une aide potentielle pour les avocats dans leur travail de tous les jours. Ils leur permettent de se débarrasser de tâches ingrates et chronophages, d’authentifier ou certifier des documents numériques.

La digitalisation permet également de diminuer certains coûts de fonctionnement pour les professionnels de la justice. La possibilité de travailler en ligne diminue le besoin en locaux. Les transformations des méthodes de travail opérées par les startups sont désormais accessibles aux professions juridiques. Va-t-on voir apparaître une flopée d’avocats nomades digitaux, gérant leurs dossiers depuis leur ordinateur tout en voyageant ? Les espaces de co-working vont ils s’adapter à une nouvelle demande de professionnels de justice nécessitant ponctuellement des locaux discrets pour recevoir physiquement leurs clients ? Les cabinets d’avocats vont-ils faire appel à des assistants virtuels, comme c’est de plus en plus le cas dans d’autres secteurs ?

Une menace pour le marché de la complexité administrative

Pour répondre aux interrogations des professionnels du droit sur l’avenir de leurs emplois, le Boston Consulting Group a rédigé récemment un rapport sur la question. Il estime que les legaltechs ne devraient pas faire sensiblement varier le nombre d’emplois dans le domaine, mais auront pour effet de remplacer certains emplois jugés obsolètes, concernant notamment les tâches administratives de base, par des professionnels dans le domaine de l’informatique.

Mais même si l’ordinateur ne pourra pas remplacer de si tôt un avocat, en mettant la technologie au service de la simplification de procédures juridiques ou administratives, en rendant accessible à tous le sacro-saint droit, l’émergence des legaltechs préfigure tout de même une menace pour un pan entier de notre économie : le marché de la complexité. Du retraité désemparé qui consulte son comptable pour sa déclaration d’impôts au boulanger qui fait appel à un juriste pour l’aider à rédiger un contrat de travail en passant par le propriétaire immobilier qui laisse son bien à une agence, ce marché basé uniquement en réponse à la complexité de nos administrations et de nos lois pourrait un jour se voir chamboulé par un accès plus facile à l’information et une simplification des démarches, que celle-ci vienne des pouvoirs publics ou du secteur privé.