Pourquoi Facebook installe des chercheurs à Paris et autres questions…

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Facebook vient d’annoncer l’installation de chercheurs spécialisés dans l’intelligence artificielle à Paris. Pourquoi ce choix ? Et comment est-il perçu ?

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Facebook a récemment annoncé la mise en place à Paris d’une équipe de chercheurs qui seront spécialisés dans l’intelligence artificielle. Choix qui surprend de la part d’une entreprise qui, jusqu’alors, déployait ses forces au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis. Explications.

Un groupe d’informaticiens et de mathématiciens travailleront de concert sur la lecture d’images et l’apprentissage automatique et profond, ainsi que sur la traduction et la reconnaissance vocale. En gardant à l’esprit la mise en œuvre de l’intelligence artificielle forte.

Dans son communiqué officiel, Facebook mentionne l’attractivité de notre capitale, et vante « l’excellence de la France » s’agissant de ces domaines de recherche, et notamment en mathématique, en physique et en informatique. Ainsi, Facebook a débauché certaines de ses recrues dans les meilleures sociétés de traduction automatique, telle DeepLingo, ainsi qu’au centre de recherche de Xerox. Emmanuel Macron, ministre de l’Economie, s’est félicité du choix de Facebook d’installer en France son premier centre de recherche en intelligence artificielle hors des USA. Pour lui, cela démontre que les choses bougent.

Pourquoi Facebook à Paris ? Parce que Yann LeCun !

En réalité, on doit ce choix stratégique de Facebook à un Français. Yann LeCun, chercheur français, est parti aux Etats-Unis à la fin des années 80. A cette époque, les chercheurs français qui planchaient sur l’intelligence artificielle se concentraient plutôt sur l’aspect symbolique (la modélisation du raisonnement logique basée sur les connaissances et des règles). Outre-Atlantique, les chercheurs se focalisaient plutôt sur l’intelligence artificielle connexionniste (réseaux de neurones), et c’est ce qui passionne Yann LeCun et le conduit jusqu’aux Etats-Unis. Fin 2013, il rejoint les rangs de Facebook. D’autres Français viendront le rejoindre dans la foulée au sein du laboratoire du réseau social : Léon Bottu (Polytechnique), Nicolas Usunier (université Pierre et Marie-Curie), Gabriel Synnaeve, Camille Couprie, Florent Perronnin (lequel dirigera les équipes de Paris).

Autre facteur ayant motivé le choix de Facebook, la présence de ses concurrents Microsoft et Google à Londres. Jusqu’à présent, il y a donc davantage de têtes chercheuses disponibles en France.

Facebook met d’ores et déjà en avant son partenariat avec l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria). Ainsi, des doctorants de l’Inria mettront leurs talents au service de Facebook. Ce partenariat avec l’Inria, qui a précédemment passé des accords avec des ténors comme Microsoft, Orange et Alcatel, suscite l’intérêt des journalistes, quoique les détails de ce rapprochement avec Facebook ne soient pas encore finalisés. Il pourrait s’agir dans un premier temps de trois projets communs : les techniques d’apprentissage, l’application à l’image (identifier des actions sur une vidéo, et plus seulement y reconnaître des personnes ou des objets), et la compréhension du contexte dans la reconnaissance vocale.

Comment ce choix est-il perçu en France ? Et aux Etats-Unis ?

Dans l’hexagone, d’aucuns voient déjà dans ce choix du géant du réseau social une forme de colonisation de la recherche par des sociétés américaines telles Facebook et avant elle, Google. Certains craignent de voir nos têtes chercheuses contribuer, qui plus est, avec de l’argent public, à un savoir qui sera d’emblée privatisé et au service des desseins de Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook. On évoque même déjà à demi-mot le risque que ces techniques intrusives (telle la reconnaissance de posture, permettant de nous identifier même lorsque notre visage est caché sur l’image) ne s’élargissent à d’autres domaines, comme le renseignement. Les détracteurs invoquent le fait que l’Inria (financée par des fonds publics) contribuera à faire progresser l’hégémonie américaine en matière de robotique et d’intelligence artificielle.

Facebook France a déjà répondu à ces critiques en indiquant que Facebook continuera de publier les résultats de ses recherches. Quant à l’Inria, elle se félicite de ce partenariat avec Facebook, lequel aurait pu se contenter d’attirer en son giron les meilleurs chercheurs sans prendre la peine d’instaurer une coopération ouverte. Pour les universitaires venant grossir les rangs de Facebook, il s’agit d’être « là où ça se passe » dans un univers où tout évolue très vite.

Les chercheurs français pas rétribués à leur juste valeur

Outre-Atlantique, les commentaires des spécialistes, relayés par les journalistes, tournent pour la plupart autour de la personnalité du Français Yann LeCun. Au-delà de cela, les Américains voient aussi la France comme l’un des pays forts dans le domaine des recherches en robotique, en mathématique et en physique. Certains évoquent le fait que les chercheurs français ne sont généralement pas rétribués à leur juste valeur par leurs employeurs, ce qui les amène à saisir une opportunité rendue possible grâce à Facebook.

Et si ce choix prétendument stratégique n’était en réalité qu’une bagarre de matière grise entre Facebook et Google ? Et si la France n’était finalement qu’un champ de bataille ? Affaire à suivre…