Le Premier Ministre grec Alexis Tsipras était de passage en Chine le 5 juillet dernier dans le but avoué de renforcer encore davantage les relations entre Athènes et l’Empire du Milieu. L’intérêt réciproque qu’entretiennent les deux pays s’est illustré à de multiples reprises ces dernières années. L’acquisition complète du port du Pirée – le principal port grec – par l’armateur chinois Cosco Shippong Corporation le 8 avril dernier vient de le montrer. Ce dernier a par ailleurs signifié son souhait de s’établir dans le port de Thessalonique, « vaste porte d’entrée vers les Balkans » selon les officiels chinois, où le géant Huawei cherche également à implanter un parc technologique.
Rien d’étonnant à cela, la Chine ne cesse de multiplier les avancées stratégiques aux portes de l’Europe. Au niveau régional, ce n’est pas seulement la Grèce mais l’ensemble des pays de la zone qui sont dans la ligne de mire de Pékin. A quelques centaines de kilomètres au nord, en Serbie, un ouvrage résume à lui seul l’intérêt croissant des Chinois pour l’Europe du Sud-Est. Le pont de Zemun-Borca, ou « Pont de l’amitié sino-serbe », inauguré en 2004, est le premier du genre sur le continent à avoir été construit par une entreprise chinoise. Ses huit voies ultra-modernes, longues de 1 507 mètres, relient les deux rives du Danube au nord de Belgrade. C’est la société China Road and Bridge Corporation qui s’est chargée de sa construction dans le cadre de son projet de liaison ferroviaire entre la Serbie et la Hongrie pour un coût de 2,5 milliards d’euros. Un chantier gigantesque qui vise à doper les échanges en Europe centrale, tout en assurant au passage une position stratégique pour la Chine dans la région.
Plus à l’est, la Bulgarie fait également l’objet des attentions de Pékin. Sur les rives de la mer noire, le port de Bourgas a signé un partenariat en mai dernier avec la ville chinoise de Hangzhou. Avec, à la clé, plus de 20 millions d’euros investis par la Chine à court terme, pour faire de la ville bulgare la porte d’entrée de millions de smartphones, tablettes et ordinateurs chinois low cost en Europe. Le projet des investisseurs chinois prévoit également la construction d’un centre d’exposition international. Un prélude en fanfare à l’arrivée massive d’électronique chinois à bas prix à l’intérieur même de l’Union Européenne.
L’Europe est peu à peu éclipsée par la Chine
Le temps où l’Europe incarnait l’avenir des Balkans semble peu à peu révolu. La montée des nationalismes dans ces pays, la crise des réfugiés, les problèmes internes de l’Union (illustrés récemment par le Brexit et le moratoire sur tout élargissement de l’UE pour les trois prochaines années), comme la peur panique d’une nouvelle crise de l’euro creusent chaque jour un peu plus la distance. Si l’Europe s’éloigne, la Russie et surtout la Chine, elles, semblent s’imposer comme des figures tutélaires de plus en plus séduisantes.
Une situation qu’a parfaitement symbolisée l’affaire de l’agrandissement de la centrale nucléaire de Cernavodă en Roumanie en janvier 2014. A l’époque, les six investisseurs européens du projet (Arcelor Mittal, Cez, Enel, GDF-Suez, Iberdrola Spain et RWE) s’étaient effacés devant un consortium sino-canadien dominé par la China General Nuclear Power Corporation. L’italien Enel et Arcelor Mittal qui avaient souhaité conduire le projet jusqu’au bout n’avaient pas pesé lourd face aux capitaux chinois.
L’Europe a manifesté sa présence dans certains grands projets dans la région comme le Trans-Adriatic Pipeline (TAP) en Albanie aux côtés d’investisseurs privés. Mais Pékin est déterminé à renforcer ses positions dans les Balkans. En Albanie par exemple, dont la Chine est devenue le deuxième partenaire commercial en mars 2016 à force d’investissements et d’accords économiques entre leurs deux capitales.
Face à l’absence de vision européenne pour la région, les Chinois déploient sans obstacle leur propre stratégie. Avec leur plan de « Nouvelle Route de la Soie », ils sécurisent leurs apports en matières premières et dynamisent leur commerce avec les pays de la région. Depuis sa tête de pont dans les Balkans, Pékin prépare le siège de la forteresse Europe. Et celle-ci a d’ailleurs beaucoup à perdre en laissant la Chine les mains libres. Outre la perte de marchés et d’opportunités stratégiques pour ses propres entreprises, l’Europe court aussi le risque de voir s’implanter une puissance concurrente sérieuse, capable de dicter ses propres règles économiques au sein de sa propre aire d’influence. Un glissement qui pourrait être d’autant plus lourd de conséquences s’il s’accompagne d’un basculement géopolitique au cœur des Balkans.