Tout a commencé en avril. Le contrat liant Amazon à Hachette arrivant à son terme, une renégociation commerciale est alors effectuée entre les deux protagonistes. Très vite, un désaccord se fait jour quant aux exigences posées par Amazon. Souhaitant uniformiser le prix de vente des ouvrages numériques, le géant de la distribution en ligne a pour cela exigé une baisse des marges pratiquées par Hachette, s’attirant les foudres de l’éditeur et provocant une série de réactions à l’ampleur sans précèdent.
La renégociation des marges est au cœur du conflit, et Amazon, pour conforter sa place de leader dans le commerce en ligne, a exigé d’Hachette une diminution du prix de vente de ses ouvrages. Souhaitant uniformiser les tarifs de ses ebooks, la firme de Jeff Bezos souhaiterait ne pas dépasser les 9,99 dollars par livre, alors que Hachette propose dans son catalogue des œuvres dépassant parfois les 20 dollars. Devant le refus affiché par la filiale du groupe français Lagardère de réduire ses marges, le différend commercial a peu à peu quitté les salons feutrés des négociations pour gagner la place publique, prenant à témoin tous les acteurs du secteur, de l’écrivain au consommateur.
Bataille d’arguments
Si ce genre de conflit entre un éditeur et un distributeur est récurrent à chaque renouvellement de contrat, l’écho suscité par le cas Hachette-Amazon dépasse de loin tous les précédents. D’abord discrètes et pleines de retenue, les deux parties ont chacune exposé leurs arguments. Amazon, qui se présente comme le défenseur des prix bas et de la culture pour tous, n’hésite pas à faire le parallèle entre l’apparition du livre numérique et celle du livre de poche, véritable révolution et source de démocratisation de la connaissance. Les exigences imposées à Hachette ne seraient donc qu’une défense du lecteur et un acte fort en faveur de son pouvoir d’achat. Vision démentie par Hachette, qui, tout en soulignant que nombre de ses ouvrages sont proposés à un prix inférieur à 10 dollars, dénonce un chantage d’Amazon et un blocage de toute négociation.
Des proportions encore jamais atteintes
Devant l’impossibilité de trouver un terrain d’entente, l’affaire s’est brusquement envenimée. Dès le mois de mai, Aurélie Filippetti, alors ministre de la Culture, prend position en faveur de Hachette Book Group (HBG), dénonce un « abus de position dominante » et en appelle à la Commission européenne. Pour forcer Hachette à la négociation, Amazon a de son côté mis en place une série de mesures de rétorsion : le consommateur désirant acheter un produit HBG sur le site de commerce ne peut plus effectuer de précommande, les réductions sont annulées, les délais de livraison sont allongés et les suggestions d’achat évitent soigneusement de mentionner les ouvrages de l’éditeur. Au passage, Jeff Bezos accuse Hachette de collusion afin de faire monter les prix. Le 7 aout, l’écrivain Douglas Preston soutient son éditeur dans une tribune du New York Times, suivi deux jours plus tard par un collectif de plus de 900 auteurs dénonçant des pratiques commerciales inadmissibles. Parmi eux, de grands noms de la littérature tels que Stephen King, Paul Auster et John Grisham.
Nouveau round
Faisant fi de ces accusations, Amazon accuse alors Hachette de se servir des auteurs comme « boucliers humains », et riposte en montant son propre site, readersunited. Le même week-end, Amazon, qui fait feu de tout bois, rend publique l’adresse mail de Michael Pietsch, directeur général d’HBG, et appelle les consommateurs à lui écrire en masse pour obtenir une baisse des prix. Ne négligeant aucun acteur, le leader de la distribution envoie aussi un courrier électronique aux auteurs de blogs afin d’expliquer sa position et de gagner leur soutien. Dans le même temps, la polémique atteint l’Allemagne, où un millier d’écrivains se sont insurgés contre Amazon et ses pratiques. Depuis, le conflit perdure et aucune issue n’a jusqu’alors été trouvée.
Les raisons d’une lutte sans merci
La position d’Amazon, qui se désigne comme le porte étendard de la démocratisation de la culture et de la lutte contre la vie chère, masque surtout sa volonté d’asseoir sa position dominante face à d’autres concurrents émergents. Détenant 60% des parts de marché sur les ebooks, le distributeur assure le tiers des ventes de livres aux Etats-Unis. Des prix attractifs, obtenus au détriment des éditeurs, assurent donc au distributeur une place de choix et permettent à sa liseuse Kindle ainsi qu’à sa plateforme de vente de rester numéros un sur le marché. De plus, les prochains mois vont être le théâtre de nouvelles négociations entre Amazon et de grands groupes, dont Disney. Un succès face à Hachette permettrait donc au distributeur de créer un précédent favorable et d’imposer plus facilement ses conditions. Les enjeux de « l’affaire » Hachette-Amazon vont donc bien au-delà de la simple négociation commerciale, et son issue sera cruciale pour tous les acteurs du domaine, éditeurs, écrivains, distributeurs et consommateurs en tête.