L’innovation frugale est un concept qui se veut vertueux afin de redonner au système de production une logique durable plus que financière. Reposant sur des bases simples et efficaces « faire mieux avec moins », l’innovation frugale se veut le modèle de demain.
Produire et innover mais dans une démarche environnementale, collaboratrice et économique : l’innovation frugale pose les jalons d’une philosophie qui devrait coller à notre système de production dans les années à venir. Concrètement, il s’agit de répondre à un besoin de la manière la plus simple et efficace possible en utilisant un minimum de moyens : « l’art de faire mieux avec moins », comme le décrit Navi Radjou, spécialiste et chercheur en innovation frugale et co-auteur d’un ouvrage sur le sujet, Le guide l’innovation frugale (Diateino, 2019).
Cette démarche doit son origine au concept indien Jugaad appliqué en milieux difficiles et qui comprend tout ce qui correspond à des réparations ingénieuses, du bricolage ou du détournement d’un usage pour solutionner un problème. En résumé, l’innovateur s’efforce d’être plus vertueux en utilisant des moyens de production simples et peu coûteux, en développant son ingéniosité et en plaçant son curseur sur le besoin réel des utilisateurs. Rien de révolutionnaire dans cette perception du monde : elle est celle de nos aînés, qui s’appuyaient sur le bon vieux système D pour résoudre les problèmes concrets auxquels ils faisaient face grâce à leurs ressources disponibles. Entretemps, la logique de production et l’obsolescence programmée sont venues assommer le système de consommation et troubler notre perception lors de l’acquisition d’un produit.
Utiliser les ressources nécessaires plutôt que d’en produire de nouvelles
L’un des premiers piliers de l’innovation frugale est d’utiliser les ressources nécessaires plutôt que d’en produire de nouvelles. Citons l’exemple d’une start-up de Grenoble, Dracula, qui a besoin d’énergie pour ses capteurs mais veut éviter de créer des batteries miniatures nécessitant des extractions de matériaux et donc un coût environnemental et financier. Dracula concentre plutôt son innovation sur un processus qui transforme la lumière ambiante en énergie grâce à une technologie fiable dans le temps. Car c’est aussi là que se trouve un des objectifs majeurs de l’innovation frugale : il ne s’agit pas de produire en low-cost mais plutôt d’atteindre ce précieux mais difficile équilibre entre un modèle économique fiable, des matériaux de qualité et un coût de production plus faible afin d’innover sur des produits de qualité qui n’entrent pas dans une logique d’obsolescence programmée.
L’innovation frugale repose donc sur quelques principes de base bien clairs. Déjà, il convient de réduire la complexité des systèmes créés : moins il y a de pièces dans une machine, moins elle a de chance de subir un dysfonctionnement ou une panne. Ensuite, il faut créer des machines qui durent dans le temps et qui ne nécessitent pas d’impacter trop lourdement l’environnement. Il est aussi nécessaire d’inclure l’utilisateur dans la chaîne de production en prenant en compte ses réels besoins, ce qui tranche avec le système de pensée productiviste que nous connaissons : traditionnellement, on produit puis on « pousse » pour faire accepter ce produit par les consommateurs. En innovation frugale, c’est tout l’inverse qui se passe et les chefs de produit sont donc invités à mieux se renseigner sur les écosystèmes qui les entourent. Enfin, le concept nécessite une transversalité entre les secteurs et donc un décloisonnement de la recherche.
L’innovation frugale peut investir tous les secteurs
Tous ces principes impliquent une meilleure connaissance des besoins des utilisateurs et surtout d’effacer la recherche absolue du profit pour faire place à une économie régénératrice. Selon les études, la génération Y est à la recherche non plus de produits moins polluants mais de produits réparateurs de la planète. L’innovation frugale peut ainsi investir tous les secteurs, que ce soient le primaire (par exemple, la création d’une cuve cylindrique roulante pour acheminer l’eau en territoire isolé), le secondaire (comme pour la start-up Dracula) ou le tertiaire. Pour ce dernier, citons en illustration la nécessaire transformation des professionnels du tourisme en crise de Covid-19 : un hôtel déserté par les clients peut ainsi mettre à disposition ses ressources, des salons ou terrasses, pour d’autres activités, comme des ventes éphémères de produits de la part de professionnels indépendants qui cherchent des lieux pour rencontrer leurs clients. L’inter-entreprises entre donc dans une logique de frugalité.
Face aux crises qui nous englobent tous les domaines : l’environnement, le sanitaire, l’économie, la politique… les principes défendus par l’innovation frugale sonnent comme un vent porteur d’espoir. En effet il est rempli d’une volonté de défendre la planète, d’un souci de placer le bien-être au cœur de l’innovation, d’une incitation à l’entraide et l’ouverture aux autres.
Photos : printemps-innovation-paysdelaloire.fr – bpms.fr – ethicalminds.eu