Les annonces sont aussi nombreuses que les feuilles d’arbres sur le pare-brise de votre voiture, oui, c’est la saison des prix Nobel ! L’occasion de s’interroger nous aussi sur l’avenir de nos sociétés mais en commençant par faire le point sur ceux qui, dans l’ombre, réfléchissent: les think tanks !
Dans l’imaginaire collectif, le think tank est un obscur groupement d’intellectuels ou décideurs économiques, complotant à l’abri des regards sur la prochaine élection présidentielle. Ils sont menaçants tel un char (tank) blindé. Le rôle d’un think tank ne se comprend pas ou peu et pour les citoyens lambdas que nous sommes, il est difficile de pouvoir suivre ces penseurs.
Littéralement parlant, un think tank est bel et bien un réservoir de réflexions, fermé. Voici quelques clés pour les ouvrir.
Des laboratoires d’idées.
Le think tank est une organisation (association, institut ou fondation) dont le but est la production de recherches, de données, de « pensées » sur les politiques sociales ou économiques, ou sur des domaines variés comme la défense, les technologies, la culture, l’éducation, l’industrie, la science, etc. En résumé : c’est un laboratoire d’idées sur des centres d’intérêts.
Contrairement aux Etats-Unis, il n’y a donc pas en France de statut propre aux think tanks. Leurs financements et modes de fonctionnement varient : les associations de loi 1901 sont indépendantes de toutes subventions gouvernementales, sauf si considérées comme d’utilité publique. Les think tanks de formes « instituts » et « fondations » reçoivent des financements (des dons) privés de la part d’entreprises ou particuliers.
Une réflexion collective.
Leur apparition est datée à la fin du XIXe siècle en Angleterre mais ils se sont développés après la seconde guerre mondiale aux Etats Unis et en Europe : L’Etat étant défaillant, la partie civile souhaitaient intervenir pour contribuer au changement. Qui dit guerre ou crise, dit reconstruction et solidarité collective. Qui dit destin collectif dit ? Réflexions !
La seconde vague de think tanks est donc survenue dans le monde anglo-saxons après 1973 (premier choc pétrolier) et plus récemment en France dans les années 1990-2000 (chute du mur de Berlin puis crises financières). En France on dénombre, en 2013, environ 90 think tanks, comme Terra Nova, l’Institut Copernic, l’Institut Montaigne, l’Ifrap ou la plus récente « Fabrique » des industries… ce qui est très peu comparé aux 1500 « policy institutes » américaines (à noter que le terme « think tank » fut attribué aux « policy institues » par les journalistes).
La différence est donc grande entre le rôle et la médiatisation des think tanks américains aux Etats-Unis, et la faible démocratisation des think tanks français, dans notre société.
Les think tanks : un outil de lobbying ?
Le lobbying est une technique d’influence et non de réflexion. Un lobby est mandaté pour défendre les intérêts d’un groupe/thème donné, à des fins précises. Le lobbying est une pratique que l’on retrouve au sein d’une entreprise ou groupe d’entreprises par exemple, via la « corporate communication » ou les groupements des parties prenantes (syndicats, associations du patronat…) mais aussi sur toute la sphère politique via les relations publiques et les larges campagnes marketing thématiques.
Le think tank n’est pas un lobby! Un think thank réalise des études, de la veille, non « commandées ». En tant que groupe de pensées, il réunit librement des experts et chercheurs pour produire des études rendues publiques par la suite (conférences, articles, propositions,…).
Le think tank n’a pas pour vocation première d’influencer les grandes décisions politiques contrairement aux lobbies. Or, et c’est là que tout se complique, think tanks et lobbies se rejoignent dans leurs rôles ! Ce sont tous deux des éléments perturbateurs de la norme existante, des facteurs de changement : les résultats du travail d’un think-tank conduisent à de nouvelles pratiques de politiques publiques. Ce sont en effet pour les décideurs politiques, des viviers de travaux de sociologues, des sources constamment actualisées d’analyses des plus grands économistes et autres penseurs.
Le think tank apparaît ainsi comme un acteur très influent dans l’évolution de nos sociétés, en étant souvent lui-même l’outil d’un intérêt donné : l’outil pensant d’un lobby !
Les think tanks sont très fréquemment décrits comme les cerveaux de nos grands décideurs.
(cf l’ouvrage de Daniel Stedman Jone : Masters of the Universe : Hayek, Friedman, and the Birth of Neoliberal Politics.)
Une objectivité contestable.
La question du financement des think tanks soulève la question de l’indépendance de ces laboratoires d’idées. Un think tank de forme juridique « association de loi 1901 » est indépendant puisqu’il ne reçoit pas de subvention de la part de l’Etat. C’est sur quoi d’ailleurs il s’appuie dans sa communication.
Ces associations (appelées souvent « instituts ») fonctionnent néanmoins grâce à un budget solidement appuyé par les contributions privées d’entreprises ou de particuliers (personnes physiques). On est en droit alors de s’interroger sur « l’indépendance » d’une structure financée à hauteurs de milliers d’euros par une grande entreprise !
À l’inverse, la question de dépendance, de liberté et donc d’objectivité, se pose pour une structure subventionnée par l’Etat car reconnue d’utilité publique : Qu’est-ce qui rend un think tank « plus d’utilité publique » qu’un autre ? Quelles sont les critères ?
Le vrai débat sur le rôle mais surtout sur l’influence des think tanks dans la société et les décisions politiques, repose principalement sur l’aspect financier. Rappelons l’affaire trop peu médiatisée de l’association Civitas. Ce think tank estampillé mouvement catholique intégriste, dont la mission serait la rechristianisation de la France, était alors reconnue comme d’utilité publique…et donc subventionnée par le contribuable !
Pour faire entendre au plus large public (dans le sens international) son indépendance d’esprit et être utile à la société, un think tank a besoin d’argent. Avec cet argent, le think tank peut-il encore s’exprimer impartialement?
Un débat pour tous.
Constructeurs des pensées de demain ou haut-parleurs de la pensée dominante, le débat autour des think tanks ne fait probablement que commencer. Aux think tanks d’ouvrir plus largement les portes de ces réserves mystérieuses de pensées. Ils se détacheraient ainsi de leurs images péjoratives de cercles élitistes, de penseurs intolérants aux opinions divergentes. C’est le devoir de tous, via nos représentants, de faire sortir les think tanks de leurs murs blindés et de leur laisser une place dans les médias afin que, tous, soyons informés comme il se doit de ces idées.
Libre à chacun de remettre en cause le rôle des instituts et fondations. Libre à chacun d’étudier leurs financements et de révéler s’il y a, leurs disfonctionnements. Libre à chacun de dénoncer l’hyper concentrations géographique de ces réflexions (faites à Paris pour des décideurs, eux aussi, à Paris). Libre à chacun de repenser le think tank !
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Principaux think-tanks à travers le monde :
FRANCE
http://www.ifrap.org/
http://www.institutmontaigne.org/
http://www.tnova.fr/
http://www.fondation-copernic.org/
http://www.la-fabrique.fr/
USA
http://www.aei.org/
http://www.hoover.org/
AMERIQUE LATINE
http://www.lyd.com/
http://cedice.org.ve/
http://www.cepchile.cl/dms/lang_1/home.html
ROYAUME UNI
http://www.adamsmith.org/
CHINE
http://english.unirule.org.cn/
ESPAGNE
http://www.fundacionfaes.org/es
INDE
http://takshashila.org.in/
http://www.imagindia.org/
ALLEMAGNE
http://www.goethe.de/wis/fut/prj/for/enindex.htm
RUSSIE
http://www.insor-russia.ru/en/
AFRIQUE
http://www.saiia.org.za/
MOYENT ORIENT
http://carnegie-mec.org/?lang=en#/slide_2785_russia-and-arab-spring