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Les multiples facettes de Blablacar

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Alors que la société Blablacar affiche une santé à toute épreuve, certains conducteurs n’hésitent pas à détourner les usages du covoiturage.

Chaque année, le covoiturage engendre de nouveaux adeptes. Moyen de transport à la fois peu onéreux, social et pratique, cette manière de se déplacer est pratiquée par près de 6 millions de français. La société Blablacar, anciennement covoiturage.fr, a réussi à s’octroyer un quasi-monopole sur la mise en relation des conducteurs et des passagers, et 95% des annonces passent par cette plateforme. L’essor de la société n’est pas prêt de s’interrompre, comme en témoigne une levée de fonds record effectuée début juillet. Mais les utilisations détournées du système permettent à des conducteurs professionnels d’investir le secteur. En toute illégalité.

Lancé en 2004 sous le nom de covoiturage.fr, le site de mise en relation entre conducteurs et passagers a depuis fortement évolué. Basé, à ses débuts, sur la gratuité, la plateforme a très vite enregistré une hausse de ses utilisateurs en corrélation directe avec l’augmentation du prix des carburants. Ayant su s’imposer face à ses concurrents, la startup a entrepris, dès 2010, des levées de fonds permettant de financer sa croissance. Parallèlement à cela, le modèle économique a, lui aussi, changé. Les bénéfices étaient autrefois essentiellement tirés des partenariats avec des mairies et des sociétés désireuses de promouvoir le covoiturage de leurs salariés.

Mais les ambitions du groupe Comuto, gestionnaire de covoiturage.fr, entretemps devenu Blablacar, nécessitent un accroissement de la trésorerie et une révision du modèle économique de l’entreprise. La gratuité a donc été abandonnée, et des frais sont depuis peu prélevés auprès de chaque utilisateur. Désirant se donner les moyens de devenir leader mondial du covoiturage, Blablacar, qui compte déjà 7 millions de membres dans 12 pays, a décidé d’avoir recours à des investisseurs. Début juillet, la société annonce un résultat spectaculaire : 100 millions de dollars, soit 73 millions d’euros, débloqués par le fonds Index Ventures.

Un usage en mutation

BlaBlaCar_communityLors des premières années, un certain esprit pionnier rendait l’utilisation du covoiturage à la fois économique et conviviale, favorisant des valeurs de partage et de rapprochement. Mais dernièrement, le paysage s’est sensiblement transformé.

Devant l’engouement suscité par ce mode de locomotion, le public s’est élargi, délaissant l’aspect social et écologique pour en faire un moyen de transport comme un autre. De plus en plus d’usagers restent muets tout le long du trajet, écouteurs vissés sur les oreilles et smartphone à la main, comme en témoigne un ancien adepte. Exit, donc, les valeurs quasi hippies de rapprochement et d’échange. Pire : des conducteurs en tirent de substantiels revenus, n’hésitant pas à effectuer plusieurs trajets par jour dans des véhicules pouvant accueillir jusqu’à huit passagers. Une manière d’arrondir les fins de mois, voire même une activité à plein temps pour certains. Activité qui, hormis le fait de dégrader profondément la philosophie du covoiturage, se révèle dangereuse pour les voyageurs.

10 000 euros par mois

Sur le site, les filous tentent de se fondre dans la masse. Faux profils visant à rassurer les voyageurs, description des véhicules non conforme à la réalité, prix gonflés et ne correspondant plus au simple partage des frais d’essence et de péage. A première vue, le bénéfice est grand pour ces particuliers. Avec un peu d’endurance et la multiplication des trajets, les revenus peuvent s’avérer conséquents. Ainsi, pour un Lille-Paris effectué trois fois par jour, les profits quotidiens peuvent atteindre 720 euros après déduction des frais. Certains ont donc choisi d’en faire leur activité principale, et en tirent des revenus non déclarés parfois supérieurs à 10 000 euros par mois.

Les passagers, qui découvrent souvent au dernier moment la supercherie, et qui sont bien obligés d’effectuer un déplacement payé d’avance, ne peuvent que subir cet état de fait. Et croiser les doigts pour qu’aucun accident ne survienne, l’assurance du véhicule ne couvrant pas ce genre de pratique. Les dangers sont aussi du côté du chauffeur, qui s’expose à une lourde peine en cas de contrôle. En tirant un bénéfice du transport de passagers, le conducteur sans autorisation encourt une peine de 45 000 euros d’amende et de trois ans d’emprisonnement. Au délit de travail dissimulé se mêle celui de taxi clandestin. Une situation qui devrait inquiéter Blablacar et la DGCCRF.

Lutter contre les abus

La direction du site relativise l’ampleur d’un phénomène jugé marginal. La mise en place du service payant a certes permis d’intensifier les contrôles et de mieux cerner les profils des conducteurs. Mais le système a ses faiblesses, facilement contournables : inscription sous plusieurs profils différents, et véhicules fictifs et de faible capacité de transport qui correspondent en fait à une seule voiture pouvant emmener jusqu’à huit passagers. De plus, certains conducteurs incitent les usagers à s’affranchir du site pour négocier en direct. Des pratiques connues de Blablacar, qui radie régulièrement les utilisateurs soupçonnés d’exercer ce genre d’abus. Quant à la DGCCRF, ou répression des fraudes, une enquête sur le covoiturage illicite a été lancée en février, visant à passer au peigne fin tous les sites acteurs du secteur. Si les usages frauduleux ne constituent qu’une minorité des cas, reste à espérer qu’elles ne ternissent pas trop un système à la fois écologique et économique en plein essor.