Coup de tonnerre le 27 juin dernier à Bruxelles : La Commission européenne inflige une amende record à Google pour violation des règles de concurrence au sein de l’UE. Le moteur de recherche est accusé d’avoir avantagé illégalement son propre service de comparaison de prix Alphabet, en le mettant volontairement en avant dans sa barre de moteur de recherche via son algorithme. Margrethe Vestager, la commissaire européenne chargée de la concurrence remportait une bataille importante. Dans l’ombre de cette amende record de 2,42 milliards d’euros se cache un Français : Olivier Sichel.
L’énergique commissaire a concrétisé le travail du Français
Depuis son élection au poste de commissaire européenne à la concurrence, la Danoise n’a pas ménagé sa peine pour lutter plus efficacement contre les excès des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), en multipliant les procédures à leur encontre. Dans son viseur, les abus pour position dominante de Google, les petits arrangements fiscaux d’Apple, la politique Data de Facebook. Autant de sujets brûlants qui lui ont valu le surnom de « dame de fer ».
Dans le dossier Google, les procédures judiciaires n’auraient certainement pas vu le jour sans l’apport déterminant d’un manager français, Olivier Sichel. Car l’ex P-DG de LeGuide avait fait depuis longtemps, de sa lutte contre Google un combat personnel et la commissaire européenne n’a eu qu’à « terminer le travail ».
Un combat inégal de sept années pour Olivier Sichel
Olivier Sichel est lancé dans le grand bain numérique en 2000 lorsque France Telecom le nomme P-DG de sa filiale Alapage, son magasin en ligne, puis de Wanadoo, le fournisseur d’accès Internet du même opérateur, avant de prendre la tête du comparateur de prix LeGuide, une émanation du groupe Lagardère.
Au premier semestre 2012 LeGuide se porte encore très bien: quatre millions d’euros avant impôt, 22 millions d’euros de trésorerie, une rentabilité de 19 %… des chiffres impressionnants pour une société active sur Internet. Mais ensuite, les résultats de la filiale Lagardère se dégradent, comme ceux des petits concurrents européens. Car Google a déjà commencé à manœuvrer plus agressivement dès 2010, menaçant les petits groupes de sombrer dans l’oubli.
L’astuce utilisée par le géant est simple : si un internaute tape un produit ménager quelconque dans son moteur de recherche, la fenêtre « Google Shopping » s’affiche en tête de page, l’algorithme utilisé par Google privilégiant les offres des produits que la multinationale commercialise via ses filiales. Les comparateurs indépendants sont relégués de plus en plus loin dans la liste, les rendant quasiment invisibles aux internautes : « les 10 premiers résultats en première page reçoivent 95 % des clics effectués sur les résultats de recherche générique ».
Le Français prend la tête du front commun qui se lève en Europe
Victime de ce procédé qu’il estime hors la loi, Olivier Sichel réunit alors sous sa coupe d’autres courageux qui osent monter au créneau contre le puissant Google. Acteurs de la communication et de la cartographie, des comparateurs de prix et des agences numériques de voyage… ensemble ils critiquent vivement les agissements de la firme californienne arguant que son algorithme entrave la saine concurrence censée vitaliser l’innovation et bénéficier aux consommateurs.
Mais difficile de convaincre les Anglais, les Espagnols ou les Italiens, frileux à l’idée de s’attaquer ouvertement au géant. Cependant les Allemands du groupe Springel rejoigne la fronde, et le mouvement repousse, non sans difficultés, trois contre-propositions avancées par Google entre 2013 et 2015. « Joaquín Almunia, vice-président de la Commission européenne, était tenté d’accepter la deuxième proposition de Google sans même procéder aux tests de marché! », déplore le Français. Les rebelles tiennent tête à l’armée d’avocats et de lobbyistes employés par la firme et démontent les arguments de défense de Google.
L’arrivée de Margrethe Vestager change la donne
Olivier Sichel tente également de sensibiliser le monde politique pour briser le plafond de verre qui plombe toutes les actions des frondeurs. Il obtient un premier rendez-vous avec les commissaires européens, à l’époque sous la responsabilité de Joaquín Almunia : « ils ne comprenaient pas le fonctionnement du marché de la recherche verticale, ni le modèle biface de Google, gratuit pour l’usager, mais payant pour les annonceurs ». Il pressent alors déjà l’imminence du danger car le commissaire espagnol, qui a choisi la voie du dialogue, se montre trop conciliant.
Quelques politiciens et des régulateurs influents s’emparent du dossier, mais c’est le changement de commissaire, en octobre 2014, qui va donner une autre ampleur à ce combat inégal. « Je n’avais jamais réussi à obtenir un rendez-vous personnel avec Almunia. Nous avons pu rencontrer Margrethe Vestager neuf semaines après son investiture ». Résultat : Bruxelles adresse une première « notification de grief » à Google en avril 2015, uniquement sur le dossier shopping.
La Commission presse le groupe de proposer sous 90 jours une « égalité de traitement » avec ses concurrents, sous astreinte d’une amende pouvant aller jusqu’à 5 % du chiffre d’affaires d’Alphabet. Une décision contraignante qui ouvre la voie à des demandes de dommages et intérêts pour tout concurrent s’estimant lésé en Europe.
Le bras de fer judiciaire est loin d’être terminé
Google a déjà envisagé de faire appel, sans que cela ne soit suspensif, mais Olivier Sichel penche plutôt pour le scénario suivant :« Alphabet peut aussi choisir d’arrêter Google Shopping plutôt que d’accepter que Bruxelles n’influe sur le fonctionnement de ses algorithmes ».
La Commission continue d’examiner d’autres marchés verticaux et elle a déjà mis à mal Google dans deux autres dossiers d’abus de position dominante, encore en cours d’examen. Donald Trump s’alignera-t-il sur la politique de Barack Obama qui avait pris la défense des GAFA?