Et si le streaming représentait l’avenir de l’industrie musicale ? Connaissant de grandes difficultés depuis les années 2000, confronté au piratage et ayant longtemps tardé à s’adapter aux nouvelles pratiques, le marché de la musique espère trouver un second souffle capable de relancer les ventes. Les sites de streaming musical pourraient ouvrir la voie vers de nouvelles perspectives. Existant depuis une dizaine d’années, ces portails musicaux se sont imposé comme des acteurs incontournables du web. Alors que des sites tels que Spotify ou Deezer connaissent une croissance majeure de leurs utilisateurs, la question de leur modèle économique se pose. Que représentent réellement ces sociétés et parviennent-elles à être rentables ?

Susciter de nouvelles habitudes
Car il existe une différence de taille entre streaming et téléchargement. Il ne s’agit plus d’acquérir, de manière légale ou non, des morceaux stockés sur son disque dur. Il s’agit au contraire d’un accès massif à des millions de titres, écoutables depuis n’importe quel endroit, pourvu d’être muni d’un smartphone ou d’un ordinateur connecté au réseau. Une pratique qui a bénéficié de la démocratisation de l’accès à l’internet mobile, en phase avec les usages nomades induits par les smartphones et les tablettes. Un abonné pourra ainsi accéder à ses playlists sans saturer la mémoire de son téléphone, et ce depuis sa voiture, son domicile ou son lieu de vacances. Et, au vu des chiffres de l’industrie du streaming, ces usages inconcevables il n’y a pas dix ans sont bel et bien en train de rentrer dans les mœurs à une vitesse époustouflante. En un an, les revenus issus du streaming ont bondi de 51%, et ont dépassé le milliard de dollars.
Freemium contre Premium

Une rentabilité difficile à atteindre
Les chiffres concernant Spotify sont à première vue plus qu’élogieux pour le prestataire. Comptant plus de 40 millions d’utilisateurs à travers le monde, dont 10 millions d’abonnés à l’offre Premium, le site a connu une augmentation des inscrits de 66% en un an. Dans sa Suède d’origine, un internaute sur huit est abonné à Spotify, et la proportion grimpe à un sur deux chez les jeunes de 15 à 25 ans. Les bénéficiaires de l’offre payante dépensent en moyenne 120 dollars par an, générant 1,2 milliards de revenus. S’y ajoutent les recettes publicitaires et les partenariats avec des marques (telles que HTC), des opérateurs télécoms, ainsi qu’avec des sites marchands permettant d’acheter albums et chansons. Mais l’équilibre est précaire, et les dépenses nombreuses. Depuis sa création, Spotify affirme avoir versé plus d’un milliard de dollars de royalties. C’est 70% du chiffre d’affaires qui est reversé aux maisons de disques, producteurs, et pour finir aux artistes, qui ne touchent qu’une somme minime pour chaque écoute.
Des auteurs mécontents
Les prestations reversées aux artistes suscitent parfois la grogne de ces derniers. Touchant en moyenne 0,05 centimes d’euros par écoute, la somme est loin d’être jugée satisfaisante pour de nombreux interprètes. Parmi eux, le charismatique Tom Yorke, de Radiohead, qui a fait retirer tous ses albums des sites de streaming, jugeant la rémunération insuffisante. Une démarche similaire a aussi été entreprise par Adele. Pour atténuer ce mécontentement, Spotify a fait œuvre de pédagogie en ouvrant un site destiné aux artistes, comportant des conseils afin de valoriser leur visibilité et d’améliorer leurs gains. Pas de quoi éteindre l’incendie, mais cela marque une volonté de contrer les accusations faites à l’égard de Spotify.
Le rival Deezer

Une concurrence multiple

Des problèmes chroniques de trésorerie
Mais tous ces sites se doivent de surmonter des difficultés financières parfois conséquentes. Dans le cas de Spotify, l’augmentation vertigineuse de son chiffre d’affaires de 128% s’est accompagnée d’une augmentation des pertes de 29%, se chiffrant à 58 millions d’euros. Depuis sa fondation, les pertes de Spotify s’élèvent à 146 millions d’euros. Ce qui n’empêche pas les investisseurs de miser sur ce qui pourrait être une manne financière lorsque l’équilibre budgétaire sera atteint. Le succès des levées de fonds démontrent cet intérêt pour ces nouveaux acteurs de l’économie numérique qui pourraient s’avérer extrêmement rentables ces prochaines années, comme le suggère une étude de Generator Research parue en février 2014. S’intéressant à la progression du marché du streaming musical sur les quatre prochaines années, le cabinet prévoit que le marché comptera en 2018 1,7 milliard d’utilisateurs, dont 125 millions d’abonnés payants. Le chiffre d’affaires généré se monterait à près de 3 milliards de dollars.
Des investisseurs à l’affut
Que de tels services peinent à atteindre la rentabilité n’effraie pas les investisseurs, qui ne rechignent pas à injecter des capitaux dans ces sociétés au potentiel élevé. Len Blavatnik, milliardaire américain d’origine russe, a ainsi investi à la fois dans Deezer et dans Spotify. Dans le cas de ce dernier, un investissement de 100 millions de dollars, organisé en 2012 par Goldman Sachs, a été complété en novembre 2013 par un investissement de 250 millions de dollars de la part de Netflix. La valorisation de Spotify a ainsi atteint les 4 milliards de dollars. De quoi susciter l’appétit des grosses pointures du web, gagnées depuis peu par une frénésie d’achats en tous genres. Et, comme le prouve Facebook qui n’a pas hésité à débourser 19 milliards de dollars pour WhatsApp, une entreprise n’est pas forcément rachetée en regard de sa rentabilité, mais plus en regard de son potentiel et du nombre d’utilisateurs qu’elle représente. Pour sa part, Apple a dépensé 3,2 milliards pour acquérir Beats, fabricant de matériel audio, mais aussi prestataire de musique en ligne. Et des rumeurs persistantes affirment que Tweeter lorgnerait sur Spotify, ce qui n’a pour l’instant été ni confirmé… ni démenti.
La solution pour sauver l’industrie musicale ?
Le futur semble accorder un avantage au streaming face au téléchargement, qui a accusé l’année dernière un recul de 2%. Sans parler de la vente de supports physiques, qui dégringole depuis 2002. La part du numérique dans les achats d’albums représente au niveau mondial 39% des ventes de disques, et franchit aisément la barre des 50% aux Etats-Unis. Le streaming serait-il donc LA solution tant espérée par l’industrie musicale pour sortir de la crise ? Avec ses 28 millions d’abonnés payants à travers le monde, ce secteur pourrait constituer une planche de salut pour les maisons de disques. Le streaming musical n’en est encore qu’à ses balbutiements, et une grande effervescence entoure cette industrie. Un dynamisme confirmé par l’arrivée de la Fnac et les projets de Kim Dotcom, mais aussi par l’ouverture de nouveaux marchés. Les pays émergents s’avèrent être de gros consommateurs de ce type de service, et la Chine, avec ses 618 millions d’internautes, abandonne peu à peu un piratage endémique pour se convertir à la légalité. Nul doute que le marché de la musique à la demande réservera de profondes surprises ces prochaines années.
