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Systèmes d’échanges locaux : vers une économie sans argent ?

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En ces temps de crise, les systèmes d’échanges locaux (SEL) ont la cote. Un formidable créateur de lien social, mais aussi une nouvelle idée du « travail ».

Crise économique, explosion du chômage, le climat social est morose. Mais les Français sont créatifs et parviennent à mettre en place de nouveaux modèles économiques, plus pragmatiques, plus participatifs, qui ne soient plus basés uniquement sur le profit, mais plutôt sur la réponse appropriée à un besoin précis.

Les SEL pourraient bien être une partie de la réponse à ce besoin de changement de paradigme. Le principe n’est pas nouveau. Le premier SEL répertorié date de 1980 à Vancouver au Canada. Mais l’idée séduit de plus en plus. Le nombre de SEL a doublé en dix ans en France, et ce sont près de 600 organisations de ce type qui rassemblent plusieurs dizaines de milliers d’adhérents.

Le principe est d’organiser de manière locale des échanges de services équitables entre citoyens sans échanges d’argent, et sans que l’on doive nécessairement servir la personne qui nous a rendu service auparavant. Pour schématiser, si Thierry donne un cours de guitare à Marion, et que Marion fait le ménage chez Julie, Julie pourra à son tour aider les enfants de Thierry à faire leurs devoirs. Contrairement au troc, qui permet des échanges très limités entre deux personnes dont les compétences et les besoins sont en adéquation, on n’est pas ici dans une relation réciproque, mais communautaire.

Les SEL : une nouvelle monnaie

Même si une comptabilité est tenue afin de s’assurer de l’équité des services rendus, les SEL ne sont pas basés sur l’utilisation d’une monnaie marchande au sens usuel du terme comme intermédiaire.

Les SEL créent leurs propres monnaies, le plus souvent basées sur une unité de temps. On donne de la valeur au temps passé à réaliser une tâche plus qu’au résultat final ou aux compétences requises, ce qui permet une forme d’équité entre tous les membres de la communauté. Une heure de ménage équivaut à une heure de cours de guitare, une heure de jardinage, ou une heure d’aide aux devoirs. La pseudo-monnaie créée par les SEL n’a aucune valeur marchande, elle n’est pas convertible en devises et il est impossible de spéculer sur sa valeur.

Les SEL, créateurs de lien social

Mais l’intérêt des SEL n’est pas uniquement de faire un pied de nez au monde de la finance. De par la simplicité administrative et pécuniaire à se lancer dans l’aventure, ces organisations sont souvent un tremplin pour valoriser ses compétences. Demandeurs d’emploi, étudiants, personnes marginalisées ou retraités, les SEL sont un moyen pour chacun d’exercer une activité, certes non-lucrative, mais récompensée toutefois.

De plus, le caractère local d’un SEL en fait un formidable moyen de créer du lien social dans une ville, un village ou un quartier tout en valorisant les compétences de ses habitants. Il est un excellent accélérateur de mixité sociale et générationnelle.

Un système sans TVA

Rendre un service contre un autre, cela est il considéré comme du travail ? D’un point de vue fiscal, tout travailleur est soumis à l’impôt. Mais au même titre que le volontariat n’est pas taxé, les services rendus dans le cadre des SEL ne peuvent l’être, puisque seule la rémunération est taxée et non le temps de travail.

Attention toutefois, le principe est de rendre des services ponctuels. Jardiner 35 heures par semaine durant une année dans le cadre d’un SEL pourrait être considéré comme du travail déguisé. Les SEL offrent un espace de liberté certes, mais également une porte ouverte à toutes sortes d’abus. Tout comme les sites de co-voiturage ont permis à certains transporteurs professionnels d’échapper à l’impôt, tout comme AirBnB a permis à des promoteurs immobiliers d’utiliser des logements résidentiels comme hôtels, les SEL courent le risque de voir leur principe détourné à des fins purement lucratives, ou de détournement du droit du travail. Ce sera sûrement aux adeptes de l’entraide de réguler ces groupements afin de préserver ce formidable outil.

Un nouveau paradigme économique ?

Malgré le succès des formes d’échanges sans argent (échanges de logements pour les vacances, woofing…), ces modes de consommation, qui trouvent parfaitement leur place en complément du système capitaliste actuel, sont loin de le remplacer. Tout d’abord parce que tout notre système économique, politique et même social est basé sur cet intermédiaire qu’est l’argent, mais également parce que l’économie participative n’est possible qu’à une échelle restreinte.

Si les SEL s’avèrent un très bon complément à l’économie traditionnelle, il faut les voir comme une incitation à se rendre service mutuellement, et non comme un système économique à part entière. Car si la valorisation du travail en temps et non en monnaie semble judicieuse pour des échanges de services entre personnes, elle s’avère bien moins adaptée à des échanges de biens, de matières premières, à la location de surfaces (habitables ou commerciales) ou à des services basés sur la mutualisation des cotisations (assurances, services publics…).