Lorsque les GAFA étouffent les start-up
L’ère des start-up est-elle en passe d’être révolue ? Aux Etats-Unis, pays pionnier qui a vu l’éclosion de nombreuses entreprises innovantes, la création de jeunes pousses a considérablement diminué, au point d’être au plus bas depuis 30 ans. Les financements de départ accordés aux nouvelles start-up ont eux aussi entamé, au cours des années 2016 et 2017, un recul de 24 % selon les analystes de Reuter. Pourtant, outre-Atlantique, aucune crise économique ne justifie une telle morosité, bien au contraire : la reprise est belle est bien là, comme en témoigne la santé d’autres secteurs. Le chômage a baissé, et les capitalisations boursières sont à la hausse. De plus, l’omniprésence des technologies et des objets connectés devrait susciter l’intérêt des investisseurs pour de jeunes entreprises qui pourraient, potentiellement, rapporter de gros dividendes et, pourquoi pas, devenir les nouvelles stars de la high-tech. Mais cette vision a-t-elle encore cours ? N’est-elle pas dépassée par le tournant pris en l’espace de seulement quelques années ? Car le fait est que la start-up, du moins dans la Silicon Valley, ne fait plus autant rêver que par le passé. La cause d’un tel changement de perspective tient en un acronyme : GAFA.
Des GAFA trop envahissants
Le terme GAFA, pour Google, Apple, Facebook et Amazon, désigne les entreprises les plus puissantes d’un secteur largement protéiforme. Fabricants de smartphones, de logiciels, de voitures autonomes, inventeurs de réseaux sociaux, concepteurs d’intelligence artificielle, collecteurs de données, aucun domaine requérant une touche d’informatique ou d’Internet ne semble échapper à l’appétit de ces géants.
Des géants qui, de start-up innovantes, se sont muées en institutions, quand elles ne sont pas devenues l’objet d’un quasi-culte de la part de leurs utilisateurs. Leurs fondateurs, les Bill Gates, Mark Zuckerberg, Steve Jobs, Jeff Bezos, Larry Page et Sergueï Brin, font l’objet de biographies, de films, de reportages, tout en étant hissés au rang d’entrepreneurs modèles. Mais ces réussites, aussi belles soient-elles, se sont révélées nuisibles aux autres acteurs. Disposant d’impressionnants fonds, les GAFA ont peu à peu racheté toutes les entreprises susceptibles de leur faire concurrence. Facebook a, par exemple, acquis Instagram et WhatsApp, et Google a racheté YouTube et Android. Si elles étaient restées indépendantes, ces entreprises auraient pu faire figure de concurrents sérieux à Facebook et Google. Mais elles ne sont devenues au final que de nouvelles acquisitions figurant dans les inépuisables listes des start-up acquises par les cinq entreprises dominantes.
Un monopole lourd de conséquences
Ces nombreux rachats entrainent inéluctablement une situation de quasi-monopole dont jouissent les GAFA, qui étendent leur domination sur l’ensemble du secteur technologique. Pire, ce contexte place les grands groupes en position de force vis-à-vis d’entreprises plus modestes. Le cas opposant Amazon au site de vente en ligne Diapers.com est en ce sens démonstratif.
En 2010, Amazon propose une offre de rachat pour la start-up, leader de la vente de couches culottes en ligne. La jeune société refuse dans un premier temps, puis finit par céder. Entretemps, Amazon avait baissé de manière significative le prix des couches vendues sur son site. Une concurrence insupportable pour la start-up qui a dû, après avoir essuyé de lourdes pertes, se résigner à céder au géant de l’e-commerce.
L’assise tentaculaire des GAFA est devenue telle que plus aucune jeune pousse ne peut prétendre sérieusement rivaliser avec les mastodontes en place. Les temps où de petites entreprises rêvaient de devenir le « nouveau Facebook » ou le « nouveau Google » sont révolus.
Des conséquences sur l’économie
L’inquiétude gagne donc la Silicon Valley, et les Etats-Unis tout entiers. Car un ralentissement des créations d’entreprises entraine non seulement un fléchissement de l’emploi, mais aussi de l’innovation, rendant le secteur nettement moins compétitif faute de concurrents. L’esprit d’entreprise, tel qu’il est célébré aux E.U., est peu à peu étouffé par l’emprise des GAFA : aux illusions des années 1990-2000 succèdent le découragement ou l’appât d’un gain vite réalisé en revendant des sociétés souvent peu, voire pas rentables.
Cette situation commence à préoccuper certains politiciens, qui réclament, au Sénat, une application plus sévère des lois anti-trust. Les réponses qu’apportera le gouvernement américain devront être analysées avec la plus grande attention. Car, en France et ailleurs dans le monde, la start-up paraît avoir encore de beaux jours devant elle. Si les innovations semblent se tarir de l’autre côté de l’Atlantique, l’Europe, la Chine et l’Afrique bouillonnent de talents et d’entreprises florissantes. Dans l’Hexagone, la création du label French Tech et le succès d’entreprises telles que Devialet ou OVH démontrent que la « culture start-up » est encore bien vivace. Jusqu’à ce que les géants des technologies ne s’y intéressent…