Modérateurs de réseaux sociaux, ce métier impitoyable
Les modérateurs des réseaux sociaux sont les filtres humains chargés de visionner des contenus qui peuvent être d’une violence impitoyable et qui entraînent des conséquences psychologiques et post-traumatiques désastreuses pour les salariés
Modérateur de réseaux sociaux, ce métier impitoyable ! Depuis l’émergence de Facebook, Twitter ou Instagram, la violence de la réalité est venue inonder les écrans depuis une dizaine d’années. Les scènes violentes ou les propos haineux qui peuvent être diffusés sur les réseaux sociaux sont généralement très rapidement supprimés des plateformes une fois qu’ils ont été signalés comme dangereux par des utilisateurs.
Lorsque quelqu’un active l’onglet « signaler » au sujet d’une publication, cette dernière est traitée par des modérateurs aidés par l’intelligence artificielle. Réunis dans des bureaux qui sont tenus secrets dans une optique de sécurité et de confidentialité, les modérateurs des réseaux sociaux sont les filtres humains, une sorte de police des yeux qui travaille huit heures quotidiennement avec un ordinateur confortablement installé derrière un bureau à la nuance près que les agents subissent d’atroces violences psychologiques et d’horribles traumatismes difficiles à surmonter.
Massacres, attentats, suicides
Citons par exemple l’attentat de Christchurch le 15 mars 2019, lorsque le terroriste australien d’extrême-droite Brenton Tarrant publie un live sur Facebook en même temps qu’il tue une cinquantaine de personnes. Un modérateur interrogé par Le Monde parle de son pire souvenir : une femme torturée par quatre hommes qui la blessent à coups de machette avant de lui couper la tête et de la présenter à la caméra. Il y a aussi les scènes de torture sur les animaux, les vidéos d’agressions dans la rue, les suicides mis en scène, les séquences pornographiques mais aussi les mots : propos racistes, haineux, incitations à la haine raciale, homophobie… Les modérateurs n’en finissent plus de côtoyer la violence au quotidien.
Lorsqu’ils témoignent sous couvert d’anonymat, ces travailleurs de l’ombre sont unanimes au sujet des difficultés rencontrées dans leur vie après avoir assisté à des scènes violentes : sommeil perturbé, stress, anxiété ou crises de panique font partie des symptômes. Selon la région qu’ils doivent couvrir, leurs traumatismes sont plus ou moins importants : il y a moins de violence en Europe occidentale que pour ceux qui couvrent la Syrie, par exemple, où de nombreuses vidéos de décapitation ont pu être publiées ces dernières années.
Pauses wellness
Chez Facebook, ils sont environ 15.000 à « nettoyer » le réseau social répartis dans une vingtaine de centres autour de la planète. L’encadrement est strict pour les modérateurs : ils n’ont pas le droit de prendre de notes, doivent laisser leur smartphone dans un casier avant d’embaucher et signent une clause de confidentialité visant à ne jamais divulguer à quiconque leur véritable profession. Ces opérateurs sont salariés par des entreprises qui sous-traitent pour les géants des réseaux sociaux.
Dans certains cas, il n’y a aucune structure mise en place pour accompagner les modérateurs et les supérieurs restent sourds aux soucis psychologiques qu’ils peuvent rencontrer. Dans d’autres centres, une salle de yoga ou un psychologue sont mis à disposition dans l’enceinte de l’entreprise. D’autres sociétés proposent quarante-cinq minutes quotidiennes de pauses wellness (bien-être) afin de compenser après avoir visionné un contenu trop dur.
Le travail des modérateurs est ensuite scruté de près par les supérieurs hiérarchiques qui attribuent un score en fonction de l’exactitude des modérations effectuées : si la modération ne correspond pas aux codes dictés par le réseau social, le score peut chuter et les conséquences sur les évolutions et la paie sont sans appel. Difficile donc de prendre des libertés avec la modération : il faut respecter les cases même si les notions de subjectivité et d’interprétation sont importantes. Le même propos à caractère haineux peut être interprété différemment en fonction des sensibilités de chacun. Dans certains cas, sa publication est autorisée et dans d’autres cas elle ne l’est pas. Compliqué alors pour le modérateur de bien savoir se placer dans un cadre rigoureux où il n’a que peu de latitude.
Au regard de toutes les contraintes et les traumatismes rencontrés par les modérateurs, ce n’est pas étonnant d’observer qu’ils ne durent généralement jamais longtemps dans cette profession qui elle, au contraire, va avoir la vie longue.