Garantir la dignité et la sécurité des patients en dialyse

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Au lendemain de la journée mondiale du rein, nous tirons la sonnette d’alarme. Les maladies du rein touchent de plein fouet la population française.

Au lendemain de la journée mondiale du rein, nous tirons la sonnette d’alarme. Les maladies du rein touchent de plein fouet la population française. Près de 3 millions de Français ont une insuffisance rénale chronique. Plus de 80 000 patients sont traités par dialyse ou greffe en France, soit l’équivalent d’une ville comme Saint-Malo ou Tarbes. Ce nombre a augmenté de plus de 25 000 patients en 10 ans. Ce n’est pas une exception française, la prévalence de l’insuffisance rénale chronique terminale augmente dans tous les pays d’Europe et même du monde entier.

Compte tenu de cette évolution, la prise en charge de ces patients est devenue un enjeu important pour notre système de santé et son équilibre financier, avec une dépense moyenne de 65 000 euros par an pour un patient traité en dialyse.

Depuis 50 ans, les établissements de santé associatifs prenant en charge l’insuffisance rénale chronique proposent aux patients une offre de soins variée et maillant tous les territoires. Ils sont présents à chaque étape du parcours de soin, de la prévention de l’insuffisance rénale à l’accès à la transplantation et à toutes les modalités de dialyse et ils attachent une grande importance au respect du choix de traitement par le patient. Au niveau national, ils prennent en charge le traitement par dialyse de 40 % des patients et représentent 75 % de la dialyse hors centre, notamment la dialyse à domicile.

Cependant, dans le paysage sanitaire, de grands opérateurs privés commerciaux, poursuivant des buts lucratifs, cherchent à investir le secteur de la dialyse, pour créer des centres ou pour proposer des prestations à domicile. Ces entreprises produisent et distribuent des médicaments ou du matériel médical. Leur intrusion dans l’offre de traitement à domicile ou en centre leur permettrait ainsi de contrôler l’ensemble de la chaîne de valeur et de profits, depuis la conception et la production jusqu’à la mise en œuvre auprès des patients. Dans cet objectif, ils s’emploient à faire tomber les dernières barrières.

En effet, l’activité de dialyse, quelle que soit la modalité, est une activité de soins soumise à une autorisation administrative qui est destinée à réguler l’offre de soins et à l’adapter aux besoins de la population. Or, les principes fondamentaux de la sécurité sanitaire doivent naturellement interdire aux personnes morales dont l’objet porte sur la fabrication, la commercialisation, la distribution, l’importation ou l’exportation de médicaments ou de produits de santé de créer ou gérer des activités de soins ou des centres de santé. Pour contourner cette limitation, de grands opérateurs exercent un lobbying intensif pour modifier le statut de la dialyse qui ne serait plus une activité de soins, avec ses règles et garanties pour les patients, mais alors une simple activité de livraison et de mise en service d’un équipement ou d’un produit. Ceci permettrait à ces opérateurs de contourner la planification régionale des autorisations d’activités de soins, ainsi que les garanties de maîtrise de la chaîne de gestion des risques (certification par la Haute Autorité de Santé, contrôles de l’inspection de la pharmacie, etc.).

Les activités de dialyse, en structure ou à domicile courent alors le risque d’être détournées de leurs objectifs premiers – le soin et l’accompagnement vers le plus haut niveau possible d’autonomie et de qualité de vie à domicile malgré la maladie- dans le seul but d’engendrer du profit, dans une intégration verticale production-délivrance de soins aussi inacceptable que dangereuse : En effet, ladistinction claire des rôles et responsabilités est un des principes fondamentaux de la sécurité sanitaire, se tenant ainsi à l’écart des conflits d’intérêt : les intérêts des patients, des soignants et des industriels ne peuvent pas être confondus !

Il est crucial que les acteurs et décideurs du système de santé restent vigilants sur ces enjeux, à commencer par le Parlement, auquel les évolutions du droit des autorisations d’activités de soin doivent être soumises.

Si les activités de dialyse ne répondent désormais plus qu’à une exigence de profitabilité dans une dynamique d’intégration verticale, ce sont les fondements mêmes de notre démocratie et de notre sécurité sanitaires qui pourraient être ébranlés. La prise en charge des malades exige une sensibilité de plus en plus forte au respect de la sécurité et de la dignité de la personne : prévention, promotion de l’autonomie, coordination des acteurs, pérennité des soins de proximité, préservation des patients face aux conflits d’intérêts… Nos institutions nationales et régionales ne peuvent pas livrer les patients, pieds et poings liés, à des acteurs qui visent le contrôle de l’ensemble de la chaîne de production et de soins, et investissent les centres de dialyse pour asseoir une position dominante. Nous attendons des dirigeants politiques de demain qu’ils renouvellent leur engagement au service de la démocratie et de la sécurité sanitaires. La sécurité et la dignité des patients dépendent de notre capacité à garantir une offre de soin désintéressée, indépendante de toute autre forme d’objectifs ou d’intérêts. Cette offre désintéressée doit rester centrée avant tout sur la personne soignée et préservée d’une appropriation monopolistique de la réponse à ses besoins.

Pour notre part, notre vigilance et notre engagement pour la dignité et la sécurité des patients ne fléchiront pas.

 

Professeur Philippe ZAOUI – Président AGDUC, Région Auvergne Rhône Alpes

Docteur Bernard BRANGER – Président AIDER SANTE, Région Occitanie

Professeur Thierry HANNEDOUCHE – Président AURAL, Région Grand Est