Qu’est-ce que va changer la fin du monopole de la SNCF ?
Un TGV italien sur les rails français dès la fin 2021 et bientôt des TER privés en région PACA : en l’espace de quelques mois, le transport de passagers sur le rail français a été ouvert à la concurrence, ce qui va provoquer de nombreux bouleversements après 83 ans de monopole ininterrompu de la SNCF.
« Quand on va voir les images des rames rouges tourner en boucle sur BFM ça va un peu piquer. » Confiée à Challenges par un dirigeant de la SNCF, cette réflexion reflète bien le cataclysme que représente pour son entreprise la fin du monopole de l’exploitation ferroviaire pour le transport de passagers en France. Après 83 ans où la SNCF a eu l’exclusivité des lignes de chemins de fer françaises, Trenitalia s’installe à la fin de l’année 2021 sur la ligne Paris-Lyon-Milan.
Première étape d’une ouverture globale à la concurrence, cette arrivée de Trenitalia précède une révolution plus large encore : soucieux de mettre la France en conformité avec les normes européennes de libre concurrence pour le transport ferroviaire à partir de décembre 2023, le gouvernement Macron a acté au cours de l’année 2021 l’obligation d’ouvrir aussi le marché des lignes TER. Dans leur cas, les décisions sont prises au niveau du conseil régional. La région PACA est la première à dégainer en choisissant Transdev pour exploiter la ligne TER Marseille-Nice à partir de 2025. Concrètement, qu’est-ce que cela va changer pour le paysage ferroviaire français et ses utilisateurs ainsi que pour les employés de la SNCF ?
Des initiatives d’intérêt collectif veulent en profiter
L’objectif affiché par l’Etat et les régions est « une montée en gamme des transports » avec le doublement du trafic pour un prix équivalent. À partir de 2025, il y aura donc quatorze horaires au lieu de sept sur le Nice-Marseille, soit un train par heure au cours de la journée. Les utilisateurs peuvent aussi être favorablement impactés par certaines initiatives, comme celle de Railcoop. Cette start-up, regroupée en SCIP (Société Coopérative d’Intérêt Collectif) en Occitanie, se veut le porte-drapeau d’un nouvel élan : offrir la possibilité à des acteurs locaux et nationaux de mobiliser des moyens pour redonner vie à des lignes abandonnées afin de redynamiser des territoires ruraux enclavés.
Dans la même idée, Le Train, installé à Bordeaux, cherche à reconnecter les petites et moyennes villes en proposant davantage de liaisons interrégionales. Mobilisant d’anciens agents de la SNCF qui sont à la recherche de plus de sens et d’intérêt collectif, ces initiatives veulent profiter de l’ouverture du rail à la concurrence pour proposer des alternatives à l’exploitation de la SNCF. Il leur faut pour cela trouver des financements et obtenir des licences d’exploitation (des autorisations) afin d’investir dans des flottes de train capables de répondre à leur plan. Mais l’acquisition de ces licences n’est pas simple et cela pourrait freiner les ardeurs de ceux qui prônent la libéralisation du rail.
Ce frein aurait de quoi rassurer un acteur inquiet : la SNCF qui craint la perte de nombreuses parts de marché. Les conséquences de cette concurrence seront aussi visibles chez ses employés : ceux travaillant sur les lignes concernées par un changement d’exploitant seront « transférés » chez le nouvel employeur. Par exemple, en PACA, Transdev s’engage à conserver les salariés transfuges aux mêmes conditions pendant quinze mois. Au-delà, leur nouvel employeur se réserve le droit de faire évoluer les statuts et de supprimer des postes. Ceci inquiète fortement les syndicats cheminots qui alertent déjà des répercussions de la concurrence sur une SNCF connue pour avoir atteint de très bons acquis sociaux pour ses employés.
L’exemple des voisins anglais et allemands
Bonne ou mauvaise idée que de concurrencer la SNCF ? À titre de comparaison, les voisins européens qui ont amorcé ces virages depuis plus de vingt ans ne sont pas forcément plus heureux : au Royaume-Uni, l’ouverture de la concurrence a laissé l’entretien des rails à du privé. Plusieurs accidents mortels, dont un déraillement spectaculaire en 2000, ont mis en lumière que la compagnie en charge de l’entretien des lignes a davantage versé de dividendes que veillé à la sécurité des installations. Sans compter la dette ferroviaire qui éclate car certaines compagnies privées ne parviennent pas à payer les sommes promises lors de l’appel d’offres. Finalement, en 2017, 75 % des Anglais interrogés se disent en faveur d’une re-nationalisation du rail.
C’est cette crainte qui redonne du crédit aux détracteurs de la libéralisation du marché ferroviaire français. Mais tout n’est pas à jeter : en Allemagne, par exemple, les acteurs estiment que la mise en concurrence est réussie. La Deutsche Bahn, la compagnie ferroviaire nationale, conserve entre 75 et 80 % de parts de marché mais il est difficile de comparer France et Allemagne tant le nombre de lignes est supérieur Outre-Rhin, ce qui permet à la DB de ne pas perdre de valeur.
Dans ce contexte incertain, seul l’avenir pourra révéler si les impacts de cette libéralisation du rail sont positifs ou négatifs. En attendant, les Français ne devront pas être surpris de voir que les TGV et les TER vont changer de couleur dans les prochains mois.
Photos : latribune.fr – leparisien.fr