Le trigger marketing : l’indignation en solde ou quand la colère fait vendre
L’avènement du web 2.0 a généré une multiplication des sujets et réflexes d’indignation et de colère, une tendance que le “trigger marketing” version moderne n’a pas manqué d’exploiter.
Le trigger marketing n’avait constitué jusqu’alors qu’une technique marketing plutôt anodine consistant à relancer automatiquement un client suite à un achat. Mais la notion de “trigger” – gâchette ou détonateur en anglais – revêt désormais un sens tout contemporain et désigne l’ensemble des faits divers, des thématiques et des terminologies qui déclenchent chez une partie du grand public des sentiments de colère, de compassion ou d’adoration. Une émotivité collective particulièrement réactive qu’un marketing habile peut aisément détourner à son profit.
L’émotion sur commande
Les sujets à même de susciter des réactions épidermiques et des tempêtes émotives sur les réseaux sociaux ne manquent pas : le racisme, l’homophobie, le féminisme, l’islamophobie, l’antisémitisme, les mauvais traitements contre les animaux, les enfants, etc. Si ces problèmes sont bien réels et n’ont rien de nouveau, la rapidité et l’exclusivité avec lesquelles ils accaparent le débat et l’attention autour du moindre non-événement ou de la moindre petite phrase sont quant à elles plus récentes.
Parallèlement, les grandes causes comme l’environnement, la santé, les droits de l’homme, et plus généralement tout ce qui est censé contrer les maux citées plus haut, est évoqué à tout va, à tout propos. Savamment utilisés, ils agissent comme un bouton que nous pressons pour déclencher au choix élans de commisération ou vindicte populaire.
Or, à l’heure où le regard du public peine la plupart du temps à s’attarder plus de quelques secondes sur un sujet, le fait que ces polémiques accrochent notre attention parfois jusqu’à quelques semaines en font un artifice de valeur lorsque certains ont quelque chose à vendre.
Des grandes causes vendeuses
Les thèmes de l’environnement et de la santé ont servi maintes fois et servent encore à écouler des produits sous le prétexte bien souvent fallacieux qu’ils sont au choix bio, durables, bons pour la santé, ou que leur marque participe au financement de telle ou telle action bénéfique. Les chiffres montrent clairement l’efficacité du procédé auprès des clients.
Voilà une manne potentielle bien tentante, et on ne compte plus les sociétés prises en flagrant délit d’hypocrisie, à l’instar de Yoplait qui clamait reverser 10 % du prix de vente de yaourts à une association, mais uniquement si l’acheteur nettoyait et envoyait lui-même par courrier un opercule, ce que personne ne faisait bien évidemment.
Le trigger marketing est également un puissant moteur dans la promotion de biens immatériels comme l’art, le contenu médiatique ou la politique. Il en est même directement issu et le fait d’exacerber une polémique dans l’air du temps a toujours fait vendre au choix du papier, des disques, des places de cinéma, ou généré des Likes, des partages et des votes.
Parler au cœur plutôt qu’au cerveau
“Ces gens qui, par une âme à l’intérêt soumise, font de dévotion métier et marchandise”, ne sont pas sortis du néant comme par magie. Molière dénonçait déjà au XVIIe siècle dans son magnifique Tartuffe les méthodes hypocrites et insidieuses dont usaient certains dévots afin de tirer profit de la bigoterie ambiante de l’époque.
Les totalitarismes ne s’y sont pas trompés non plus au cours de l’histoire, et ont toujours été maîtres dans l’art d’exciter les masses contre tel ou tel bouc émissaire. La technique est sempiternelle : provoquer une émotion, un engouement, et installer le discours sur ce terrain afin d’en tenir éloignés au maximum la raison et la prudence. A charge pour chacun de résister à ces effets de masse et de recourir à plus de rationalité. Plus facile à dire qu’à faire.
Photos : myjalis.fr – paldesk.com – 7triggers.com