Lip joue la carte du Made in France
En 1990, Jean-Claude Sensemat, un industriel du Gers, rachète la société horlogère Lip de Besançon auprès du tribunal administratif. Cette dernière était tombée en liquidation quelques années auparavant. Son rachat redonne une nouvelle vie à la marque, mais signe également son départ de Besançon, sa ville d’origine, pour changer sa stratégie marketing et redorer son blason. Un quart de siècle après, l’horloger français revient à en Franche-Comté afin de reconquérir ses lettres de noblesse.
Aujourd’hui, après avoir sauvé la marque, Jean-Claude Sensemat décide de revenir sur les terres d’origine de l’entreprise. Là où, en 1800, Emmanuel Lippman, son fondateur, avait offert l’une de ses montres à Napoléon Bonaparte alors qu’il n’était encore que Consul. En 1867, il fondera à Besançon le « Comptoir Lippmann », atelier d’horlogerie de 15 salariés.
Top Chrono radioactif
En 1896, le premier « Chronomètre Lip »est lancé. Il s’en vend 2500 par an. C’est un exploit. Il ne s’agit pas de chronomètre tel que nous l’entendons aujourd’hui, mais bien de cadrans de poche ; ce qui évoluera pour devenir les montres Lip, parmi les plus prisées dans l’industrie du luxe.
Prisées car toujours à la pointe de la technologie ! Ainsi en 1904 recherchant une solution pour lire l’heure en toutes circonstances, Ernest Lippman élabore, avec l’aide de Pierre et Marie Curie, un cadran que l’on peut lire dans. En effet, ces derniers lui proposent d’y mettre du radium associé au sulfure de zinc fluorescent… mais les cadrans Lip deviennent alors radioactifs.
Forts de cette expérience mais toujours à l’affût de nouveaux développement horlogers, les fils Lippman déposent la marque LIP et entre dans l’histoire en faisant, dès 1908, de la publicité dans la presse. Cette démarche novatrice à l’époque leur donne raison car, deux ans plus tard, 10 000 montres LIP sont vendues dans l’Hexagone.
Toujours dans l’innovation, LIP continue la publicité mais se lance dans le grand format en créant des affiches murales. Puis ce sera au tour de la diversification. En effet, pour participer à l’effort de guerre, LIP se met à fabriquer de petits mécanismes utilisés par l’armée, des têtes d’obus ou encore des chronomètres télémétriques pour les artilleurs.
En 1932, LIP devient le premier horloger français grâce aux 40 000 montres vendues chaque année derrière le slogan « Donne l’heure précise avec élégance ». C’est aussi la première entreprise française à instaurer les congés payés en 1934.
L’entreprise familiale se développe avec succès mais la Seconde Guerre mondiale touchera la famille de près. Ernest et sa femme sont conduits à Drancy en 1943 et n’en reviendront pas. Trois ans auparavant, l’usine de Besançon, qui comptait au moins 250 ouvriers, avait été réquisitionnée par les forces d’occupation. Fred Lippman, l’un des fils d’Ernest, l’installe en zone libre et rejoint les bancs de la résistance.
Le quartz japonais et Mai 68
Si la guerre a gravement touché la famille Lippman, elle n’a pas empêché ses ouvriers de fabriquer des montres. En 1945, 50 000 d’entre elles sont vendues chaque année. Les innovations, elles non plus, ne sont pas en reste. Ainsi en 1952, LIP lancera la première montre électrique. En 1955, la marque est à son apogée. Ses deux usines de Besançon et Issoudun travaillent à plein régime et son effectif dépasse les 1700 personnes. Plus de 300 000 montres sont produites.
Mais dix ans plus tard, l’arrivée des montres à quartz développées par les Japonais va avoir raison de l’horloger français. Fred Lippman se voit obligé de recapitaliser son entreprise pour financer le développement de la technologie à quartz. Malgré quelques bonnes initiatives, le niveau des ventes retombe et les dettes commencent à s’accumuler. Mai 68 et les revendications ouvrières donnent lieu à l’une des occupations d’usines les plus actives. Fred Lippman accorde alors aux salariés la retraite à 60 ans pour les femmes et 63 ans pour les hommes, une semaine de congé supplémentaire et indemnise à 100% les accidents du travail. C’est une première en France.
Une montre Lip pour Bill Clinton
Malgré une sortie de crise, les années 1970 verront la société placée en redressement judiciaire en raison d’une trop forte concurrence japonaise et des prix, trop bas, de l’américain Timex. Les clients achètent ailleurs. LIP est racheté mais le secteur ne se porte pas bien et l’entreprise périclite petit à petit avant l’arrivée de Jean-Claude Sensemat.
Il change la stratégie introduisant les montres Lip dans les magazines de commandes à domicile et dans les grandes surfaces. Politique gagnante ! Les ventes se multiplient au point de délivrer un million d’exemplaires par an. La réédition du modèle Charles de Gaulle, que ce dernier portait, marque ce redémarrage, notamment lorsque Jean-Claude Sensemat l’offre à Bill Clinton.
Le retour du Vintage Made in France
Aujourd’hui, relocaliser Lip à Besançon semble une évidence pour que la marque retrouve son crédit. En effet, Lip dispose d’un taux de notoriété important chez les Français : elle fait partie des cinq marques de montres que les consommateurs citent spontanément. Mais pour retrouver sa visibilité, la marque a décidé de jouer la carte du vintage et du « Made in France ».
La marque a un atout certain ; elle est la seule sur le créneau ! Herbelin est plus cher, et Pequignet ne vise que le marché du très haut de gamme. Aujourd’hui l’entreprise réfléchit à une campagne de communication qui pourrait bien signer de nouvelles heures de gloire pour l’horloger français. Le retour de Lip vers son origine bisontine pourrait bien être un moyen de partir à la recherche de son temps perdu. A la bonne heure !