Comprendre les paradis fiscaux et leurs conséquences, un veritable enfer ?

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Affaire Cahuzac, Offshore Leaks – depuis un mois, les paradis fiscaux sont au cœur de l’actualité ; et, avec près de 7 000 milliards de dollars dans les coffres, ils coulent des jours heureux en toute impunité… La communauté internationale a beau taper du poing sur la table ; banques, multinationales, élites politiques et classes sociales aisées continuent d’y transférer revenus et profits pour échapper à l’impôt, voire blanchir de l’argent sale. Retour sur des paradis aux mœurs douteuses…

Paradis fiscaux - enjeux et conséquences

72 paradis fiscaux dans le monde

L’OCDE définit les paradis fiscaux selon 4 critères : une imposition nulle ou insignifiante, l’absence de transparence, une législation opposée à l’échange d’informations et une tolérance absolue envers des sociétés-écran sans activité économique réelle. Les pays et territoires qui rentrent dans cette définition sont ensuite répartis en trois catégories (« noire », « grise » ou « blanche ») en fonction du degré de coopération des autorités locales avec leurs homologues internationaux.

Seul problème : la classification de l’OCDE fait polémique, car elle est jugée trop laxiste par les spécialistes et les associations. Il suffit en effet de signer des accords de renseignements fiscaux – par exemple, avec une autre place offshore – pour figurer sur la liste blanche. Aujourd’hui, aucun pays n’apparaît dans la liste noire ; et seulement 7 juridictions font partie de la liste grise.

Ce qui paraît bien peu… En 2011, le réseau Tax Justice Network (TJN) comptabilisait 72 paradis fiscaux dans le monde, parmi lesquels : l’Etat américain du Delaware, le Luxembourg, la Suisse, les Iles Caïmans, la City de Londres, les Bermudes, Singapour, la Belgique ou encore Hong-Kong.

Des havres d’optimisation fiscale

En trente ans, ces Etats et territoires – minuscules pour certains – sont devenus des hauts-lieux de la finance internationale. Ils abritent près de 4 000 banques, 2 000 fonds spéculatifs et 2 millions de sociétés écrans ; et, d’après le FMI, 50 % des flux financiers de la planète y transiteraient Car leurs principaux clients, ce sont les entreprises multinationales, devenues des championnes de l’optimisation fiscale.

Pour ces grands groupes, les paradis fiscaux, c’est une voie efficace pour échapper à leurs obligations en manipulant les prix de transfert. Le mécanisme est simple : une entreprise vend ses produits à bas prix à une filiale implantée par exemple aux Iles Caïmans ; cette dernière les commercialise ensuite sur le marché réel à un coût plus élevé. On arrive ainsi à des situations surréalistes, où, par le jeu de l’optimisation fiscale, l’Ile Maurice est le premier investisseur en Inde, et Jersey le principal exportateur de bananes d’Amérique du Sud en Europe !

L’intérêt pour l’entreprise, c’est qu’elle diminue considérablement le montant global de ses impôts. Dans le pays de production, elle réduit artificiellement ses profits ; et, comme le bénéfice est réalisé dans un paradis fiscal, celui-ci sera peu ou pas taxé du tout. Résultat : en France, les entreprises multinationales n’acquitteraient en moyenne que 8 % d’impôt sur les bénéfices, contre 33 % pour les PME.

Les trous noirs de la finance individuelle

Dans ce contexte, les particuliers ne sont pas en reste… Gabriel Zucman, économiste à l’Ecole d’Economie de Paris, estime que le montant des avoirs des individus détenus dans les paradis fiscaux s’élève à 8 % des ressources financières mondiales

Parmi les utilisateurs, on trouve des élites corrompues qui détournent des sommes colossales : Ilham Aliyev en Azerbaïdjan, Ferdinand Marcos aux Philippines, Bayartsogt Sangajav en Mongolie et Sassou Nguesso au Congo-Brazzaville. Tous ces responsables politiques ont en commun d’avoir ouvert des comptes dans des paradis fiscaux pour blanchir les recettes des pots-de-vin, trafics d’armes, caisses noires et fonds détourné. Au Congo-Brazzaville, ce sont près d’un milliard de dollars qui, entre 2003 et 2005, ont été prélevés des caisses de l’Etat, direction les Bermudes, les Iles Vierges britanniques ou Anguillas…

Côté particuliers, les profils sont variés : l’évasion fiscale peut être le fait de diamantaires belges, de milliardaires russes, de marchands d’armes, mais aussi – et de plus en plus – de « gens ordinaires ». La crise grecque avait déjà révélé cette tendance en 2011 ; elle a été confirmée en avril 2013 par l’Offshore Leaks qui a mis au jour la présence de dentistes américains ou de villageois grecs issus des classes moyennes parmi les fraudeurs.

L’évasion fiscale, un fléau économique majeur

Riches ou pauvres, tous les Etats en pâtissent. D’après le Sénat américain, l’évasion fiscale coûterait 100 milliards de dollars aux Etats-Unis. En Grèce, où 40 milliards d’euros ont disparu en 2012, elle contribue largement au marasme économique ambiant. En France, le manque à gagner s’élèverait à 50 milliards d’euros par an.

Dans les pays du Sud, la fuite de capitaux représenterait, selon les estimations, entre 600 et 800 milliards d’euros chaque année, soit dix fois le montant de l’aide publique au développement versé par les pays industrialisés. L’Afrique en particulier est une « véritable passoire fiscale » ; et le Ghana perd ainsi la moitié de son budget annuel.

Partout, ce phénomène joue un rôle clé dans l’érosion des finances publiques. Dans les pays en développement où les impôts ne représentent que 15% du PIB (contre 35% dans les pays développés), les conséquences sont dramatiques pour l’avenir  et, comme souvent, les populations en sont les premières victimes. Car des finances publiques en baisse, ce sont autant d’écoles et d’hôpitaux que l’Etat ne construira pas…

Pour une meilleure justice fiscale

Les pays les plus riches ont conscience des ravages de l’évasion fiscale ; et le sujet est à l’agenda du G20 depuis quatre ans. Mais l’action de l’OCDE qui coordonne la lutte au niveau international s’est avérée décevante. Quant à l’Union européenne qui abrite plusieurs paradis fiscaux, elle ne s’est guère montrée plus efficace…

C’est donc au niveau national que tout se joue, et les Etats-Unis sont aux avant-postes. Depuis 2010, le Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA) impose en effet aux banques des pays étrangers de dévoiler les comptes non déclarés de leurs ressortissants, faute de quoi elles perdraient l’accès au marché américain.

En France, le Président Hollande est intervenu avec fermeté au lendemain de l’affaire Cahuzac. Le 10 avril, il a annoncé une nouvelle batterie de mesures : échange automatique d’informations ; mise en place d’une haute autorité indépendante de contrôle ; création d’un parquet financier spécialisé dans les affaires de corruption et de fraude fiscale ; obligation pour les banques de rendre publique la liste de leurs filiales pays par pays.

Vers la fin des paradis fiscaux ?

Aujourd’hui, les gouvernants sont soucieux d’agir. En période de disette économique et d’efforts collectifs pour relancer la croissance, l’opinion publique tolère de moins en moins les passe-droits.

Le 19 avril, les ministres des Finances du G20 réunis à Washington ont réclamé la mise en place d’un échange automatique d’informations bancaires au niveau mondial. En juillet prochain, ils se pencheront sur le cas des grandes entreprises.

Mais le chemin vers une plus grande justice fiscale est encore long à parcourir. La plupart des membres du G20 possèdent eux-mêmes un ou plusieurs paradis fiscaux sur leur territoire. D’après l’association CCFD-Terre Solidaire, les 20 pays les plus riches de la planète représentent 39 % de l’opacité internationale et 88 % si on ajoute les pays de l’Union européenne qui ne sont pas au G20. Et aucun n’est prêt à tuer la poule aux œufs d’or !