Aérien français : les raisons du naufrage
Victime de la concurrence du low cost mais également des compagnies du Golfe Persique, Air France peine à rester compétitive. D’autant plus que l’Etat français, qui est actionnaire d’Aéroports de Paris, a tendance à lui mettre des bâtons dans les roues.
Air France, c’est bien plus qu’une compagnie aérienne. Ambassadrice du raffinement à la française depuis 1933, elle emploie plus de 65.000 personnes, assurant 1.600 vols quotidiens vers 366 destinations.
Depuis 2008, Air France est empêtrée dans ses déficits. Elle menace de supprimer des postes, notamment de pilotes, et est secouée par des grèves à répétition. La crise qu’elle est en train d’endurer est un peu le reflet de la crise française.
Air France peine à rester compétitive
Par manque d’adaptation certainement, Air France s’est peu à peu retrouvée dépassée, notamment par l’essor des compagnies low cost. Lors de la fusion avec Air Inter, les méthodes de travail initiées par la compagnie intérieure française pour réduire les coûts de fonctionnement et faire concurrence au TGV sur le court-moyen courrier ont été abandonnées. Face à l’émergence de compagnies low cost telles que Ryanair ou Wizzair, Air France ne fait plus le poids, malgré quelques tentatives pour se développer sur ce secteur. Ces dernières ont réduit drastiquement leurs couts, flirtant pour certaines avec les limites du droit social. Ryanair, emblème de l’aérien à bas cout, est également accusé de trop s’appuyer sur les subventions qui lui sont accordées pour l’ouverture de nouvelles destinations. Mais le low cost n’est pas seul à faire concurrence aux compagnies traditionnelles de notre vieille Europe.
Le jeu déloyal des compagnies du golfe persique
Les compagnies du golfe persique représentent une concurrence féroce sur le long courrier. Le trio Qatar Airways, Etihad et Emirates affiche régulièrement des taux de croissance de 15 à 20% par an. Ces compagnies aériennes sont accusées par leurs concurrents de ne pas respecter les règles du marché. Très fortement subventionnées et aidées par les Etats du Golfe, leur but premier ne serait pas la rentabilité, mais l’acquisition de parts de marché. La gestion des compagnies, des aéroports, voir des instances politiques responsables de réguler le transport aérien est souvent entre les mêmes mains. D’ici à 2020, les trois compagnies ont pour ambition de doubler leur trafic et donc de grignoter un peu plus les parts de marché des compagnies européennes.
La redevance aéroportuaire tue la compétitivité
Mais si les compagnies du Golfe sont si attractives, c’est aussi une question de taxes. La légèreté des redevances aéroportuaires pour les compagnies nationales par exemple a un impact direct sur leur compétitivité. Elles sont parmi les plus faibles au monde. En étant soumis aux mêmes taux, Air France économiserait 400 millions d’euros par an !
Cet été, un arbitrage très attendu a été rendu par Matignon concernant justement ces redevances pour les aéroports parisiens. Freinant la gourmandise d’ADP qui voulait une augmentation de 1,75% hors inflation, un gel a été décidé pour 2016, mais une augmentation d’au moins 1% par an serait ensuite à prévoir jusqu’en 2020. Pour les représentants de l’aviation française, l’Etat joue ici plus son rôle d’actionnaire (il est propriétaire à 50,6% d’ADP) que de soutien à l’économie française. Dans le même temps, la taxe aéroportuaire à Amsterdam (siège de KLM) a été abaissée de 7%.
La complexité de Schengen freine l’activité aéroportuaire
Les procédures administratives pour les transits à Doha, Dubaï ou Abu Dhabi sont également facilitées. Les trajets à destination et en provenance des pays du Golfe ne représentent qu’une petite partie du marché de ces compagnies. Elles misent en réalité beaucoup sur les vols avec escale. Contrairement à Paris, pas besoin de visa pour transiter par Dubaï. Un argument de poids dans un monde de plus en plus en mouvements. Les connexions entre l’Asie et l’Afrique notamment s’intensifient du fait du dynamisme de ces deux régions. L’Europe qui était autrefois un hub entre ces deux continents a laissé la place à la forteresse de Schengen que beaucoup préfèrent contourner pour transiter par le Golfe.
Le droit du travail, cheval de bataille de l’aérien français
Dans un marché de l’aérien qui est fatalement mondial, la question du droit du travail applicable est fondamentale dans la compétition que se livrent les différentes compagnies. Ryanair s’est fait une spécialité de tenter d’exporter le droit irlandais partout en Europe. Ce qui lui a valu l’an dernier une lourde condamnation pour le travail dissimulé de 127 personnes basées à l’aéroport de Marseille, mais travaillant selon leur contrat à Dublin.
Dans les pays du Golfe, où sont employés les travailleurs de Qatar Airways, Etihad et Emirates, les charges sont presque nulles. Résultat : ces compagnies peuvent réduire drastiquement leurs coûts de fonctionnement et leurs tarifs et en même temps se rendre très attractives pour leur personnel. Avec des salaires moyens équivalents à ceux pratiqués par les compagnies européennes (2.000 euros pour une hôtesse de l’air en moyenne et entre 5.000 et 8.000 pour un pilote), elles peuvent investir dans des avantages sociaux (scolarité des enfants, prise en charge médicale, et même villas avec piscines mises à disposition des pilotes).
Mais quelques soient les secteurs d’activité, la remise en cause du droit du travail ou du système social sont des sujets tabous en France. Peu de chances donc de voir actionner ce levier de compétitivité dans le secteur aérien.