Facebook a 15 ans : le bon moment pour devenir un espace public
Le 4 février 2004, à Harvard, Mark Zuckerberg met en ligne «The Facebook». À l’origine réservé aux étudiants de la prestigieuse université, il s’ouvrait aux autres facultés américaines deux ans plus tard. Aujourd’hui, après 15 ans d’existence, on estime que plus d’un quart de l’humanité utilise Facebook chaque mois (soit la moitié des humains ayant accès à Internet). Il est désormais le 3e site Internet le plus visité au monde, devancé uniquement par YouTube et Google.
Toujours une équipe qui gagne ?
Si l’on s’en tient aux chiffres, tout va bien pour Facebook et Mark Zuckerberg. Ce dernier a longtemps été le plus jeune milliardaire de l’histoire. De nouveaux abonnés continuent d’affluer quotidiennement, gonflant chaque jour les 2,3 milliards d’utilisateurs mensuels. Le groupe dispose maintenant d’une «galaxie d’applications», tels que Whatsapp, ou Instagram, pour ne citer que les plus célèbres.
Cependant, malgré ces réussites économiques évidentes, le tableau n’est pas tout rose pour Facebook et son CEO. L’interrogation de Zuckerberg par le Congrès des États-Unis, en avril 2018, symbolise parfaitement les suspicions grandissantes vis à vis du média.
Suite au scandale de Cambridge Analytica, le président général de Facebook avait été poussé dans ses retranchements et contraint de s’excuser à de nombreuses reprises. Il avait en effet été prouvé que sa compagnie avait échoué à protéger les données personnelles de ses utilisateurs, et que ces données avait servi à lancer de gigantesques opérations de propagande venue de Russie, en vue de favoriser l’élection de Donald Trump, mais aussi d’influencer les votants durant le référendum du Brexit.
Comment se protéger de l’ingérence extérieure (piratage, espionnage, infox…) sans limiter la liberté d’expression? Maintenant que Facebook occupe une place aussi significative dans la vie de plus de deux milliards d’êtres humains, peut-il encore rester sous le giron d’une compagnie privée?
L’anonymat sur Internet: un mensonge ou une protection nécessaire ?
Jamais un média, quel qu’il soit, n’avait touché autant de personnes. À tel point qu’il est désormais l’une des principales sources d’information au monde. Mais puisque n’importe qui peut créer un compte et dispenser n’importe quelle information sans aucune obligation de vérification, il devient virtuellement impossible d’éviter les fameuses «fake news». L’objectivité ou la véracité d’un propos dépendent uniquement de son émetteur. Sur Facebook plus qu’ailleurs, «les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent».
Le président Macron a par ailleurs récemment encouragé à une «fin de l’anonymat» sur Internet, en vue de responsabiliser l’émetteur d’un message, et ainsi réduire la probabilité des fausses informations ou encore des discours de haine. Une idée en théorie efficace, mais difficilement applicable.
Tout d’abord, il convient de rappeler que l’anonymat sur Internet est une idée très relative, souvent confondue avec le «pseudonymat». Via une adresse IP, la géolocalisation, l’appareil utilisé, il est extrêmement compliqué d’être impossible à identifier.
Le plus gros problème, toutefois, reste la potentielle entrave à la liberté d’expression et d’opinion. En ce sens, David Kay, nommé rapporteur spécial à la liberté d’expression par l’ONU, avait publié en 2016 un rapport affirmant que l’anonymat et le pseudonymat sont des conditions sine qua non à la liberté d’expression et d’opinion. A titre d’exemple, l’équivalent chinois de Facebook oblige ses membres à s’inscrire sous leur vrai nom, permettant ainsi au gouvernement de surveiller et museler sa population ou sa presse. Un système évidemment bien loin de l’idéal démocratique, dont on voudrait rester éloigné.
Un adolescent qui grandit trop vite
Facebook a toujours revendiqué une volonté de rassembler les gens sur une plateforme d’échanges universelle, d’améliorer la connectivité entre les populations et les opinions. Cela semble désormais chose faite, mais il parait maintenant indispensable de se questionner sur les responsabilités inhérentes à de tels échanges.
Dans son appétit insatiable, l’ogre médiatique que l’on connait désormais n’a peut-être plus l’estomac suffisamment solide pour gérer tant de cultures différentes, tant d’opinions exprimées en seulement quelques clics. Après 15 ans, le bébé d’un étudiant, accouché depuis un dortoir a bien grandi, et va devoir mûrir au plus vite. Suite à son audition devant le Congrès, Zuckerberg lui-même avait reconnu qu’il était temps de «réparer Facebook» et que sa société traverse «un grand changement philosophique». Le Facebook que nous connaissons depuis 2004 aurait déjà commencé sa mue. Reste à savoir en quels termes.
Quelles évolutions à prévoir pour Facebook ?
Pour le moment, les réseaux sociaux comme Facebook n’ont pas vraiment de statut légal. Sans être responsable devant la loi, Facebook doit pourtant déjà assumer une certaine responsabilité sociologique et même historique. Comment, d’ici 100 ou 200 ans, pourra-t-on expliquer et comprendre de manière objective le mouvement des gilets jaunes si les historiens ne disposent pas d’un corpus de textes issus de Facebook? Comment mesurer l’impact du média sur les «Printemps arabes» si les conversations et publications restent à la discrétion d’une compagnie privée?
A minima, il semblerait indispensable d’imposer à Facebook (et d’autres compagnies équivalentes) une responsabilité juridique plus claire, et ainsi permettre une supervision extérieure pour réguler les fausses nouvelles ou propos appelant à la haine.
Mais c’est probablement en quittant son statut d’espace privé, où la publicité fait loi (puisque c’est ainsi que Facebook génère du revenu) pour devenir un espace public que le géant médiatique devra évoluer. Ainsi, il lui sera rigoureusement impossible de revendre les données, sera soumis à une juridiction plus stricte et en accord avec les lois des pays où il existe. Pays dont la législation pourrait ainsi apporter leur soutien et éviter que le colosse d’Internet ne s’effondre sur ses pieds d’argile.